Théâtre
- La mouette (1896)
- Oncle Vania (1899)
- Les trois soeurs (1901)
- La cerisaie (1904)
Nouvelles
(Tchékhov publia plus de 500 nouvelles)
- Recueil "La Dame au petit chien" et autres nouvelles Préface de Roger Grenier
15 nouvelles brèves consacrées aux types de femmes selon Tchékhov
- Recueil "Le duel" et autres nouvelles Préface de Roger Grenier
5 nouvelles plus conséquentes : Le Duel, Lueurs, Une banale histoire, Ma vie , La fiancée.
Essais et récits :
- La steppe
- L'ïle de Sakhaline Préface de Roger Grenier
--------------
La Steppe
Histoire d'un voyage
(1888)
Celui de Iegoroutchka un enfant de 9 ans quittant don foyer pour se rendre dans la ville éloignée où se trouve son futur lycée, en compagnie de son oncle négociant en laine et d’un vieux pope libéré de sas obligations religieuses.
Ils traversent en calèche une région quasi désertique du Sud de la Russie et croisent à la faveur des haltes quotidiennes les différentes communautés qui l’habitent et dont les traditions et modes de vie sont préservées par l’isolement.
Une unique route empruntée par les voyageurs , les négociants et les nomades relie les auberges pittoresques , les fermes ou les villages .
Tandis que sous une chaleur accablante, les adultes somnolent pendant les longues étapes du voyage, indifférents aux paysages, c’est l’occasion pour l’enfant de découvrir la steppe et sa nature dans sa sublime indifférence au sort des hommes.
Tchekhov avait fait ce voyage en 1887 à 27 ans, de Moscou à Taganrog, mais il choisit pour nous le raconter, les yeux et le cœur d’un enfant attentif à son environnement, encore capable d’étonnement dans cette empathie naturelle de la jeunesse avec les hommes et les animaux, un choix qui lui permet d’exprimer dans des descriptions d’une grande sensibilité son propre émerveillement .
« Peut - être bien que [ mon récit ] ouvrira les yeux de mes contemporains et leur montrera quelle richesse , quelles réserves de beauté demeurent encore intactes , et combien l’artiste russe a encore à faire . Si mon petit récit rappelle à mes collègues la steppe , qu’ils ont oubliée , si , ne serait - ce qu’un des motifs , que j’indique légèrement et sèchement , donne à quelque poète l’occasion de réfléchir , eh bien tant mieux . »
Quelques extraits :
Les kourganes
« Dans le lointain bleuâtre , où le dernier tertre visible se fondait dans le brouillard , rien ne bougeait ; les kourganes , postes de guet ou tombes , qui ici et là s’élevaient au - dessus de l’horizon et de la steppe sans limite , gardaient une attitude de rigueur et de mort ; leur immobilité , leur silence faisaient sentir les siècles et la parfaite indifférence à l’homme ; mille années passeront , mourront des milliards d’hommes , et ils seront toujours là , sans pitié pour les morts , sans intérêt pour les vivants , et personne au monde ne saura pourquoi ils sont là et quel secret de la steppe ils dissimulent . « Des freux éveillés , silencieux et solitaires étaient au - dessus du sol . Et au vol nonchalant de ces oiseaux à longue vie , au matin qui ponctuellement se répète chaque jour , à l’immensité de la steppe , on ne pouvait trouver aucun sens . »
Le milan
Un milan vole en rase - mottes , battant harmonieusement des ailes , et s’arrête soudain en l’air , comme pour réfléchir à l’ennui de vivre , puis il les secoue et file au - dessus de la steppe comme une flèche , sans qu’on sache pourquoi il vole ni ce qu’il veut . Au loin , le moulin , avec ses ailes , gesticule . . .
Les soirs…
Les soirs et les nuits de juillet , les cailles et les râles ne crient plus , les rossignols ne chantent plus dans les ravins forestiers , on ne sent plus l’odeur des fleurs , mais la steppe est toujours belle et pleine de vie . A peine le soleil est - il couché et la terre emmitouflée de ténèbres , que la langueur diurne est oubliée , tout est pardonné , et la steppe respire légèrement de sa vaste poitrine . Comme si , dans l’obscurité , l’herbe ne voyait pas sa vieillesse , elle devient le lieu d’un jeune et joyeux crépitement , inconnu dans la journée ; craquements , sifflements , grattements , basses , ténors et soprani de la steppe , tout se mêle en un grondement monotone , incessant , favorable aux souvenirs et à la mélancolie . Ce crépitement uniforme endort comme une berceuse ; on roule et on sent qu’on s’endort , mais voilà que retentit le cri saccadé , angoissé d’un oiseau qui veille encore , ou que se
fait entendre un son indéterminé , semblable à une voix prononçant « ah ? » avec étonnement , et les paupières assoupies se ferment . Ou alors on longe un petit ravin plein de buissons et l’on entend un oiseau que les habitants de la steppe appellent splouk crier à quelqu’un « Splou ! Splou ! Splou ! 2 » , tandis qu’un autre rit ou sanglote hystériquement : c’est le hibou . Dieu sait pour qui ils crient et qui les écoute dans cette plaine , mais leurs cris sont pleins de tristesse et de plaintes . . . On sent l’odeur du foin , de l’herbe séchée , des fleurs attardées , odeur épaisse , sirupeuse et tendre .
Les offensés du destin
Pendant le repas , la conversation fut générale . De cette conversation Iégorouchka déduisit que ses nouveaux amis , malgré les différences d’âge et de caractère , avaient quelque chose en commun , qui les faisait se ressembler entre eux : c’étaient tous des gens avec un passé admirable et un présent déplorable ; sans exception , ils parlaient de leur passé avec enthousiasme et traitaient leur présent quasiment avec du mépris . Le Russe aime se souvenir mais n’aime pas vivre ; Iégorouchka ne savait pas cela , et , avant que la soupe ne fût mangée , il croyait fermement que les gens qui l’entouraient étaient des humiliés et des offensés du destin .