(Extrait chant III du vers 511 au vers 778 )
D’où venez-vous, Pudeur, noble crainte, ô Mystère
Qu’au temps de son enfance a vu naître la terre,
Fleur de ses premiers jours qui germez parmi nous,
Rose du Paradis ! Pudeur, d’où venez-vous ?
Vous pouvez seule encor remplacer l’innocence,
Mais l’arbre défendu vous a donné naissance ;
Au charme des vertus votre charme est égal
Mais vous êtes aussi le premier pas du mal ;
[…]
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O des instants d’amour ineffable délire !
Le cœur répond au cœur comme l’air à la lyre.
Ainsi qu’un jeune amant, interprète adoré
Explique le désir par lui-même inspiré,
Et contre la pudeur aidant sa bien-aimée,
Entraînant dans ses bras sa faiblesse charmée,
Tout enivré d’espoir, plus qu’à demi vainqueur,
Prononce les serments qu’elle fait dans son cœur,
Le Prince des esprits d’une voix oppressée,
De la Vierge timide expliquait la pensée.
Eloa sans parler , disait : Je suis à toi ;
Et l’Ange ténébreux dit tout haut : Sois à moi !
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Sois à moi , sois ma sœur ; je t’appartiens moi-même ;
Je t’ai bien méritée, et dès longtemps je t’aime,
[…]
Toi seule m’apparus comme une jeune étoile
Qui de la vaste nuit perce à l’écart le voile ;
Toi seule me parus ce qu’on cherche toujours,
Ce que l’homme poursuit dans l’ombre de ses jours,
Le Dieu qui du bonheur connaît seul le mystère,
Et la reine qu’attend mon trône solitaire.
Enfin, par ta présence habile à me charmer,
Il me fut révélé que je pouvais aimer.
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Soit que tes yeux voilés d’une ombre de tristesse,
Aient entendu les miens qui les cherchaient sans cesse,
Soit que ton origine aussi douce que toi,
T’ait fait une patrie un peu plus près de moi,
Je ne sais, mais depuis l’heure qui te vit naître,
Dans tout être créé j’ai cru te reconnaître ;
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[…]
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« Puisque vous êtes beau, vous êtes bon sans doute ;
Car sitôt que des Cieux une âme prend la route
Comme un saint vêtement, nous voyons sa bonté
Lui donner en entrant l’éternelle beauté.
Mais pourquoi vos discours m’inspirent-ils la crainte ?
Pourquoi sur votre front tant de douleur empreinte ?
Comment avez-vous pu descendre du saint lieu ?
Et comment m’aimez-vous si vous n’aimez pas Dieu ? »
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[…]
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[…]
Tel retrouvant ses maux au fond de sa mémoire,
L’Ange maudit pencha sa chevelure noire
Et se dit, pénétré d’un chagrin infernal :
« Triste amour du péché ! sombres désirs du mal !
De l’orgueil, du savoir gigantesques pensées !
Comment ai-je connu vos ardeurs insensées ?
Maudit soit le moment où j’ai mesuré Dieu !
Simplicité du cœur ! à qui j’ai dit adieu,
Je tremble devant toi , mais pourtant je t’adore ;
Je suis moins criminel puisque je t’aime encore ; »
[…]
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« Qu’êtes-vous devenus, jours de paix, jours célestes ?
[…]
Je souriais, j’étais…J’aurais peut-être aimé ! »
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Le Tentateur lui-même était presque charmé,
Il avait oublié son art et sa victime,
Et son cœur un moment se reposa du crime.
Il répétait tout bas, et le front dans ses mains :
« Si je vous connaissais, ô larmes des humains ! »
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Ah si dans ce moment la Vierge eût pu l’entendre,
Si sa céleste main qu’elle eût osé lui tendre
L’eût saisi repentant, docile à remonter…
Qui sait ? le mal peut-être eût cessé d’exister.
[…]
Il la vit prête à fuir vers les cieux de lumière.
Comme un tigre éveillé bondit dans la poussière
Aussitôt en lui-même, et plus fort désormais,
Retrouvant cet esprit qui ne fléchit jamais,
Ce noir esprit du mal qu’irrite l’innocence,
Il rougit d’avoir pu douter de sa puissance,
Il rétablit la paix sur son front radieux,
Rallume tout à coup l’audace de ses yeux,
Et longtemps en silence, il regarde et contemple
La victime du ciel qu’il destine à son temple ;
[…]
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[…]
--Mais quel don voulez-vous ? – Le plus beau, c’est nous-mêmes.
Viens . – M’exiler du ciel ? –Qu’importe si tu m’aimes ?
Touche ma main. Bientôt dans un mépris égal
Se confondront pour nous et le bien et le mal.
[…]
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En ce moment passa dans les airs, loin de leurs yeux,
Un des célestes chœurs où parmi les louanges,
On entendit ces mots que répétaient les Anges :
« Gloire dans l’univers, dans les temps, à celui
Qui s’immole à jamais pour le salut d’autrui. »
Les Cieux semblaient parler. C’en était trop pour elle.
Deux fois encore levant sa paupière infidèle,
Promenant des regards encore irrésolus,
Elle chercha ses cieux qu'elle ne voyait plus.
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Des Anges au Chaos allaient puiser des mondes.
Passant avec terreur dans ces plaines profondes,
Tandis qu’ils remplissaient les messages de Dieu,
Ils ont tous vu tomber un nuage de feu.
Des plaintes de douleur, des réponses cruelles,
Se mêlaient dans la flamme au battement des ailes.
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Où me conduisez-vous , bel Ange ?—Viens toujours.
--Que votre voix est triste, et quel sombre discours !
N’est-ce pas Eloa qui soulève ta chaîne ?
J’ai cru t’avoir sauvé. – Non c’est moi qui t’entraîne.
--Si nous sommes unis, peu m’importe en quel lieu !
Nomme-moi donc encore ou ta sœur ou ton Dieu !
--J’enlève mon esclave et je tiens ma victime.
--Tu paraissais si bon ! Oh qu’ai-je fait ? – Un crime.
--Seras-tu plus heureux, du moins, es-tu content ?
--Plus triste que jamais. – Qui donc es-tu ? –Satan .