( Extrait du chant 2 du vers 325 au vers 511)
[...]
Non moins belle apparut, mais non moins incertaine,
De l’Ange ténébreux, la forme encore lointaine,
Et des enchantements non moins délicieux
De la Vierge céleste occupèrent les yeux.
Comme un cygne endormi qui seul, loin de la rive,
Livre son aile blanche à l’onde fugitive,
Le jeune homme inconnu mollement s'appuyait
Sur ce lit de vapeur qui sous ses bras fuyait.
[…]
Son front est inquiet ; mais son regard s’abaisse ,
Soit que sachant des yeux sa force enchanteresse,
Il veuille ne montrer d’abord que par degrés
Leurs rayons caressants encore mal assurés,
Soit qu’il redoute aussi l’involontaire flamme
Qui dans un seul regard révèle l’âme à l’âme.
[…]
Voici les mots qu’il dit à la fille de Dieu :
[...]
Ainsi l’esprit parlait. A sa voix caressante,
Prestige préparé contre une âme innocente,
A ces douces lueurs, au magique appareil
De cet Ange si doux, a ses frères pareil,
L’habitante des Cieux de son aile voilée,
Montait en reculant sur sa route étoilée,
Comme on voit la baigneuse au milieu des roseaux
Fuir un jeune nageur qu’elle a vu sous les eaux.
[…]
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Je suis celui qu’on aime et qu’on ne connaît pas.
Sur l’homme j’ai fondé mon empire de flamme
Dans les désirs du cœur, dans les rêves de l’âme,
Dans les liens des corps, attraits mystérieux
Dans les trésors du sang, dans les regards des yeux.
[…]
Moi j’ai l’ombre muette, et je donne à la terre
La volupté des soirs et les biens du mystère.
Es-tu venue, avec quelques Anges des cieux,
Admirer de mes nuits le cours délicieux ?
As-tu vu leur trésors ? Sais-tu quelles merveilles
Des Anges ténébreux accompagnent les veilles ?
[…]
Au fond de l’orme épais dont l’abri les accueille,
L’hymne de volupté fait tressaillir les airs,
Les arbres ont leurs chants, les buissons leur concerts,
Et sur les bords d’une eau qui gémit et s’écoule
La colombe de nuit languissamment roucoule
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« La voilà sous tes yeux l’œuvre du Malfaiteur ;
Ce méchant qu’on accuse est un Consolateur
Qui pleure sur l’esclave et le dérobe au maître,
Le sauve par l’amour des chagrins de son être,
Et dans le mal commun lui-même enseveli,
Lui donne un peu de charme et quelquefois l’oubli. »
Trois fois, durant ces mots, de l’Archange naissante
La rougeur colora la joue adolescente,
Et luttant par trois fois contre un regard impur,
Une paupière d’or voilà ses yeux d’azur.