mardi, 19 août 2014 00:00

Le poème d'Eloa Chant I

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Un des premiers poèmes publiés d’Alfred de Vigny (1825) , une épopée de 778 vers , en trois chants

Eloa ou la soeur des anges

d'Alfred de Vigny

venus de  Botticelli

Chant  I
Naissance   d'Eloa

(Née  d'une  larme d'amour ...)

(extraits  du chant   I du vers 1 au vers  324)

Il  naquit  sur la terre un  Ange, dans le  temps
Où le  Médiateur sauvait  ses  habitants.
Avec  sa suite obscure et  comme lui bannie,
Jésus avait  quitté  les murs  de Béthanie;
A travers la campagne  il fuyait  d'un pas lent,
Quelquefois s'arrêtait, priant  et consolant,
Assis  au  bord  d'un champ  le prenait pour  symbole,
Ou du  Samaritain  disait  la parabole,
La brebis égarée  , ou  le mauvais pasteur,
Ou le  sépulcre  blanc pareil  à  l'imposteur;
Et de là poursuivant  sa  paisible  conquête,
De  la  Chananéenne écoutait la  requête,
A la fille  sans  guide enseignait ses chemins ,
Puis  aux petits enfants  il  imposait les mains .
L'aveugle-né voyait  sans pouvoir le comprendre,
Le  lépreux et le sourd  se toucher  et  s'entendre,
Et tous, lui consacrant  des larmes pour  adieu,
Ils quittaient  le  désert où  l'on  exilait  Dieu.
Fils  de l'homme  et sujet  aux maux  de la naissance,
Il les  commençait tous par le  plus  grand , l'absence,
Abandonnant  sa  ville  et  subissant l'Edit,
Pour  accomplir  en tout   ce qu'on  avait prédit.
______
Or  dans  ces temps là  , ses amis en  Judée
Voyaient  venir leur  fin  qu'il  avait  retardée;
Lazare,  qu'il  aimait  et ne visitait plus,
Vint à  mourir , ses jours  étant  tous révolus.
Mais  l'amitié de Dieu  n'est-elle pas la vie ?  
Il partit  dans la nuit  ; sa  marche  était suivie
Par les deux jeunes  soeurs  du  malade  expiré,
Chez qui, dans  ses périls, il  s'était  retiré.
C'était  Marthe  et marie; or Marie  était  celle
qui  versa les  parfums et  fit  blâmer  son  zèle.
Tous s’affligeaient ;  Jésus  disait en vain : Il dort
Et lui-même en voyant  le  linceul  et le  mort,
Il pleura.- Larme sainte à  l’amitié donnée,
Ô vous ne fûtes  point aux vents abandonnée !
Des Séraphins  penchés l’urne  de diamant,
Invisible  aux  mortels, vous reçue  mollement,
Et comme  une merveille , au ciel  même étonnante,
Aux  pieds  de l’Eternel vous  porta rayonnante.
De  l’œil  toujours ouvert  un regard  complaisant
Emut et fit briller  l’ineffable  présent ;
Et  l’Esprit Saint   sur elle épanchant sa  puissance
Donna l’âme  et la vie  à  la divine  essence.
Comme  l’encens qui brûle  au rayon du soleil
Se change en  un feu  pur, éclatant  et vermeil,
On vit alors du sein de  l’urne éblouissante
S’élever une forme et blanche  et grandissante,
Une voix s’entendit qui disait : Eloa !
Et l’Ange  apparaissant répondit :  Me voilà .
[...]
Un  jour les  habitants de l’immortel  empire ,
Imprudents  une fois s’unissaient  pour  l’instruire.
« Eloa,  disaient-ils , oh !veillez bien sur vous :
Un ange  peut tomber ;  le plus beau de nous tous
N’est  plus  ici : pourtant dans  sa vertu  première
On  le nommait celui qui  porte  la  lumière ;
[…]
Mais on  dit  qu’à  présent il est sans diadème,
Qu’il gémit, qu’il est seul, que  personne  ne  l’aime,
Que  la noirceur  d’un crime appesantit ses  yeux ,
Qu’il ne sait  plus  parler le langage des cieux ;
La mort est dans  les mots que  prononce sa bouche ;
Il brûle ce qu’il voit,  il flétrit ce qu’il touche ;
Il ne peut  plus sentir  le  mal  ni  les bienfaits ;
Il est  même sans  joie  aux  malheurs qu’il a faits.
Le ciel qu’il  habita  se trouble  à sa mémoire ,
Nul ange  n’osera  vous conter son  histoire,
Aucun saint n’oserait dire  une fois son  nom. »
Et  l’on crut qu’Eloa  le  maudirait ;  mais  non,
L’effroi  n’altéra  point son  paisible visage,
Et se fut  pour  le Ciel ,  un alarmant  présage.
Son  premier  mouvement ne fut  pas de frémir,
Mais plutôt  d’approcher comme pour secourir ;
La tristesse  apparut sur sa lèvre glacée
Aussitôt qu’un malheur s’offrit  à sa  pensée ;
Elle apprit  à rêver, et son front innocent
De ce trouble  inconnu rougit  en s’abaissant ;
Une larme brillait auprès de sa  paupière.
Heureux ceux dont le cœur verse  ainsi  la  première !

[…]
Eloa s’écartant de ce divin spectacle,
Loin de leur foule et loin du brillant Tabernacle,
Cherchait quelque nuage  où dans  l’obscurité
Elle pourrait du  moins rêver en  liberté .

Les Anges ont des nuits comme la nuit  humaine.
Il est dans  le ciel  même  une pure fontaine ;
[…]
Mais en vain Eloa s’abreuvait de son onde,
Sa douleur  inquiète  en était  plus  profonde ;
Et toujours dans  la  nuit  un rêve  lui  montrait
Un ange  malheureux qui de loin l’implorait.
[…]
L’Ether  a ses degrés d‘une grandeur  immense ,
Jusqu’à  l’ombre éternelle où le Chaos commence .
[…]
Jamais  les  purs Esprits, enfants de la lumière,
De ces trois régions n’atteignent la dernière.
Et jamais ne s’égare aucun  beau Séraphin
Sur ces degrés confus dont l’Enfer  est la fin.
[…]
Péril  plus grand !  peut-être il  lui faudrait entendre
Quelque chant d’abandon voluptueux et tendre ,
Quelque regret du Ciel, un récit douloureux
Dit par la douce voix d’un Ange  malheureux.
Et même,  en  lui  prêtant  une oreille attendrie,
Il pourrait  oublier la céleste patrie,
Se  plaire sous la nuit et dans une amitié
Qu’auraient  nouée entre  eux les chants et la pitié.
Et comment remonter à la voûte azurée,
[…]
__________
Voilà  pourquoi, toujours  prudents et toujours sages,
Les Anges de ces  lieux redoutent  les passages.
_______
C’était  là cependant , sur la sombre vapeur,
Que la vierge  Eloa se reposait sans  peur :
Elle ne se troubla qu’en  voyant sa  puissance,
Et les bienfaits  nouveaux causés par sa  présence.
[…]

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