(L'Atlantide -Petite histoire d'un mythe platonicien aux Editions les belles lettres )
En attribuant à Platon l'origine de l'Atlantide , on ne situe certainement pas l'origine du Mythe dans la colère divine qui punit les hommes de vouloir accéder à la connaissance en prétendant à des pouvoirs réservés aux dieux .
Quand il a écrit son Timée et son Critias en 355 environ av JC, Platon, a lui-même puisé dans d'autres fonds mythologiques. C'est peut-être ce qu'il faut comprendre lorsqu'il évoque la généalogie du récit de Critias qui le tient de son aïeul qui lui-même le tenait de Solon selon les dires des prêtres de Neith (nom égyptien d'Athéna).
Mais c'est sur la base du récit platonicien que maintes légendes postérieures ont cherché leurs fondements.
A tort ou à raison ?
Combien de ces récits n'ont fait que privilégier la nostalgie d'un Paradis perdu, ou d'un âge d'or révolu, où l'Atlantide ne sert que de prétexte à des utopies. Combien de ces récits n'ont fait que susciter la convoitise, la quête de trésors enfouis, de connaissances oubliées en négligeant que leur possession pouvait comme les Atlantéens les mener à leur perte ?
Or le mythe platonicien a-t-il un autre sens que celui de nous prémunir contre ces rêves de grandeur illusoire en nous proposant comme alternative une cité organisée parfaitement et gouvernée par la sagesse comme l'aurait été Athènes, rivale victorieuse de l'île orgueilleuse, dans des temps très anciens . Cependant , celle-ci n'a pas été épargnée par la colère divine, puisque l'armée héroïque fut engloutie dans le cataclysme qui punit l'Atlantide, Zeus ayant alors uni dans un même sort les deux cités .....
............
L'Atlantide selon Platon
Le Timée
Dans son prologue, nous apprenons par Critias que la cité d'Athènes fut créée par la déesse Athéna plus de 9000 ans avant Solon (Selon le récit des prêtres égyptiens de Saïs, Athènes a précédé de 1000 ans l'Egypte, elle -même ayant été créée 8000 ans avant la rencontre de Solon et du prêtre égyptien ) Elle avait alors la République pour Constitution et fonctionnait selon les règles idéales définies par Platon dans un dialogue précédent.
La perfection de son organisation et les qualités de ses hommes, les guerriers- philosophes, les Gardiens, trouve sa justification dans un exploit prodigieux.......
Nous en apprenons peu sur cette puissance et sa grande cité rivale d'Athènes, et il faudra attendre la fin du récit de Critias , au dialogue suivant, pour en savoir davantage ..
Il s'interrompt en effet et cède la place à Timée de Locres qui passe aux origines de l'univers. Platon délaisse l'Evènement pour exposer ses théories sur la cosmologie, la formation du monde , de l'âme et du corps de l'homme.
En relisant ce texte et la rupture dans la narration je me suis demandée innocemment, si Platon n'avait pas souhaité avant de poursuivre rappeler ses convictions sur le dieu des dieux, qui ne peut être que bon, et ne vouloir que le bien.
Si la destruction de l'Atlantide pouvait trouver justice dans un esprit humain, grec de surcroit, il est bien évident que le doute pouvait par contre s'instaurer lorsque le récit porterait sur le châtiment divin qui engloutirait dans une même fureur la Cité parfaite et ses valeureux guerriers.
Il était peut-être donc fort approprié de rappeler au préalable le souverain bien des intentions du créateur, sa connaissance illimitée , la petite place de l'homme dans l'univers, et les bornes étroites de sa compréhension .
Le Critias
L'argument du Critias porte exclusivement sur la description des deux rivales . L'ancienne Cité d'Athènes , la rigueur de son organisation et sa sobriété, tranche avec l'opulence de l'île établie au delà des colonnes d'Hercule .
Athéna et Héphaïstos qui s'accordent dans le même amour de la sagesse et des arts président au destin d'Athènes tandis que Poséidon développe l'Atlantide en la comblant de richesse et de magnificence .
De la description de l'île majestueuse, de ses richesses, de son faste et de ses ressources inépuisables devaient naître les utopies des siècles suivants, les courses au trésor et les quêtes d'Eldorado.
Probablement les successeurs de Platon se sont-ils crus supérieurs aux Atlantéens et capables de résister aux effets pervers de l'opulence et du pouvoir pourtant décrits par Critias .
C'est cette ambiguïté qui retiendra plus loin notre attention
Platon croyait-il a son mythe ?
Ce qu'en dit P.Vidal- Naquet :
Le récit de Platon illustrerait le duel entre l'Athènes démocratique et impérialiste qu'il n'aimait pas beaucoup et l'Athènes selon le modèle esquissé dans la République et développé dans Les lois au niveau du possible ... et l'affirmation de la réalité du récit, un procédé littéraire dont Platon était coutumier " Avec une perversité peu commune Platon va multiplier ce que Roland Barthes appelait les effets de réels". En s'appuyant sur la nature de Solon meilleur poète qu'historien, Platon situe l'Athènes du récit dans le registre de la fiction poétique tandis que l'Atlantide appartient, au contraire, au monde de l'histoire ; c'est l'Athènes impérialiste contemporaine du philosophe, celle d'après les guerres médiques.
..............
Mais le mythe de la justice divine s'exprimant dans un cataclysme cyclique purificateur confère au récit de Platon des échos de vérité tant pour ses contemporains que pour nos esprits rationnels tout imprégnés qu'ils sont par des siècles de tentatives de réponses aux phénomènes qui nous dépassent. Récits ou mythes fondateurs, l'Atlantide puise dans ces sources et elle continue d'alimenter notre imaginaire même quand nous en condamnons la réalité.
..et Paul Veyne :
Quelle était l'attitude des Grecs eux-mêmes ? Car si les grecs avaient été incrédules, que serait-il advenu de toutes ces légendes et serions-nous aujourd'hui si prompts à la créance secondaire ?Paul Veyne dans son essai "Les grecs croyaient-ils à leurs mythes ?" s'est posé la question, et c'est par une analyse de l'histoire et de son sens de vérité qu'il tente de répondre à cette question.
Je crois avoir compris que si un esprit comme celui de Platon pouvait s'être libéré des histoires fabuleuses dont foisonnaient les traditions, celles-ci n'en constituaient pas moins l'archéologie de la pensée grecque et qu'elles étaient tenues pour vraies parce que rapportées comme telles et qu'il n'était pas alors pensable de les mettre en doute.
Les meilleurs historiens de l'Antiquité , succédant dans la relation du passé aux poètes ou aux bardes, relataient comme véridiques les faits qu'on leur rapportait, leur mérite étant seulement de les confronter à leurs connaissances ou à leur savoir pour juger de leur cohérence . On n'avait pas pour habitude à l'époque de rechercher la preuve irréfutable et les enquêtes portaient davantage sur la vraisemblance. Un fait, un évènement qui perdurait dans le temps était forcément vrai au moins dans ses fondements , on pouvait l'enjoliver , modifier sa dimension , l'intelligence et la sensibilité de l'auditeur pour la tradition orale , du lecteur pour l'écrit, étaient seules juges du degré de sa crédibilité .
On peut donc penser que Platon s'il ne croyait pas à son Atlantide pouvait tout aussi bien la tenir pour une vérité possible, cohérente avec les traditions, aussi vraie que le déluge de Deucalion ou que la Troie d'Homère, juste, parce que conforme à l'idée de Socrate dans sa conception d'une Athènes idéale.
Et puisque nous évoquons Deucalion, le moment n'est-il pas venu de parler d'histoires de Déluges ...