extrait :
[...] Au début , j'étais encore capable de jouer avec calme et réflexion , je faisais une pause entre les parties pour me détendre un peu . Mais bientôt mes nerfs irrités ne me laissèrent plus de répit. A peine avais-je joué avec les blancs que les noirs se dressaient devant moi ,frémissants. A peine une partie était -elle finie qu'une moitié de moi-même commençait à défier l'autre , car je portais toujours en moi un vaincu qui réclamait sa revanche. Jamais je ne pourrai dire, même à peu près, combien de parties j'ai jouées ainsi pendant les derniers mois dans ma cellule, poussé par mon insatiable égarement -peut-être mille , peut-être davantage. J'étais possédé et je ne pouvais m'en défendre. Du matin au soir, je ne voyais que pions, tours, rois et fous et je n'avais en tête que a,b,et c, que mat et roque. Tout mon être, toute ma sensibilité se concentraient sur les cases d'un échiquier imaginaire . La joie que j'avais à jouer , était devenue un désir violent, le désir d'une contrainte, d'une manie, une fureur frénétique qui envahissait mes jours et mes nuits. Je ne pensais plus qu'échecs, problèmes d'échecs, déplacement des pièces. Souvent , m'éveillant le front en sueur, je m'apercevais que j'avais continué à jouer en dormant. Si des figures humaines paraissaient dans mes rêves, elles se mouvaient uniquement à la manière de la tour, du cavalier , du fou . A l'audience aussi , je ne parvenais plus à me concentrer sur ce qui engageait ma responsabilité; J'ai l'impression de m'être exprimé assez obscurément les dernières fois que je comparus, car les juges se jetaient des regards étonnés. En réalité, tandis qu'ils menaient leur enquête et leurs délibérations, je n'attendais, dans ma passion avide, que le moment d'être reconduit dans ma cellule pour y reprendre mon jeu , mon jeu de fou. Une autre partie, et encore une . [...]
(Repris de Un sogno italiano du 30 mai 2011)