samedi, 30 mars 2013 00:00

l'ombre

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Comment un savant se sépara de son ombre, ce qu'il en advint et comment il perdit la vie pour ne pas accepter de n'être plus que son ombre ...


Hans Christian Andersen
Contes d'Andersen

Traduction par David Soldi
Librairie Hachette et Cie, 1876 (pp. 172-190).

illustration du savant et  de son  ombre

[...]

— Certes, cela est extraordinaire, en effet, mais vous-même, n'êtes-vous pas un homme extraordinaire ? et moi, vous le savez bien, j'ai suivi, vos traces dès votre enfance. Me trouvant mûr pour faire seul mon chemin dans le monde, vous m'y avez lancé, et j'ai parfaitement réussi. J'ai eu le désir de vous voir avant votre mort, et, en même temps, de visiter ma patrie. Vous savez, on aime toujours sa patrie. Sachant que vous avez une autre ombre, je vous demanderai maintenant si je dois quelque chose à elle ou à vous. Parlez, s'il vous plaît.

— C'est donc véritablement toi ! répondit le savant. C'est extraordinaire ; jamais je n'aurais cru que mon ancienne ombre me reviendrait sous la forme d'un homme.

— Dites ce que je dois, reprit l'Ombre, je n'aime pas les dettes.

— De quelles dettes parles-tu ? tu me vois tout heureux de ta chance ; assieds-toi, vieil ami, et raconte-moi tout ce qui s'est passé. Que voyais-tu chez le voisin, dans les pays chauds ?

— Je vous le raconterai, mais à une condition ; c'est de ne jamais dire à personne ici, dans la ville, que j'ai été votre ombre. J'ai l'intention de me marier ; mes moyens me permettent de nourrir une famille, et au delà.

— Sois tranquille ! je ne dirai à personne qui tu es. Voici ma main, je te le promets. Un homme est un homme, et une parole....

— Et une parole est une ombre.

À ces mots, l'Ombre s'assit, et, soit par orgueil, soit pour se l'attacher, elle posa ses pieds chaussés de bottines vernies sur le bras de la nouvelle ombre qui gisait aux pieds de son maître comme un caniche. Celle-ci se tint bien tranquille pour écouter, impatiente d'apprendre comment elle pourrait s'affranchir et devenir son propre maître.

« Devinez un peu qui demeurait dans la chambre du voisin ! commença la première Ombre ; c'était une personne charmante, c'était la Poésie. J'y suis resté pendant trois semaines, et ce temps a valu pour moi trois mille ans. J'y ai lu tous les poèmes possibles, je les connais parfaitement. Par eux j'ai tout vu et je sais tout.

— La Poésie ! s'écria le savant ; oui, c'est vrai, elle n'est souvent qu'un ermite au milieu des grandes villes. Je l'ai vue un instant, mais le sommeil pesait sur mes yeux. Elle brillait sur le balcon comme une aurore boréale. Voyons ! continue. Une fois entré par la porte entr'ouverte....

— Je me trouvai dans l'antichambre ; il y faisait à peu près noir, mais j'aperçus devant moi une file immense de chambres dont les portes étaient ouvertes à deux battants. La lumière s'y faisait peu à peu, et, sans les précautions que je pris, j'aurais été foudroyé par les rayons avant d'arriver à la demoiselle.

— Enfin que voyais-tu ? demanda le savant.

— Je voyais tout, comme je vous le disais tout à l'heure. Certes, ce n'est pas par fierté ; mais comme homme libre, et avec mes connaissances, sans parler de ma position et de ma fortune, je désire que vous ne me tutoyiez pas.

[...]

http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Ombre_(Andersen-Soldi)

Lu 5231 fois Dernière modification le jeudi, 14 août 2014 23:17
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