(Illustration de la page :Hérodias par Paul Delaroche)
Hérodiade
Ses yeux sont transparents comme l'eau du Jourdain.
Elle a de lourds colliers et des pendants d'oreilles ;
Elle est plus douce à voir que le raisin des treilles,
Et la rose des bois a peur de son dédain.
Elle rit et folâtre avec un air badin,
Laissant de sa jeunesse éclater les merveilles.
Sa lèvre est écarlate, et ses dents sont pareilles
Pour la blancheur aux lis orgueilleux du jardin.
Voyez-la, voyez-la venir, la jeune reine !
Un petit page noir tient sa robe qui traîne
En flots voluptueux le long du corridor.
Sur ses doigts le rubis, le saphir, l'améthyste
Font resplendir leurs feux charmants : dans un plat d'or
Elle porte le chef sanglant de Jean Baptiste.
A cette évocation m'est tout de suite venue à l'esprit l'image dansante d'une figure de Botticelli:
Bottticelli : Retour de Judith à Bethulia
Mais bien sûr , il s'agit de Judith et la tête est celle d'Hollopherne , le tableau de Paul Delaroche est beaucoup plus vraisemblable . Pourtant , si voluptueuse, elle me semble trop sévère pour le poète.
C'est vers les symbolistes qu'il faut se tourner et vers Gustave Moreau en particulier qui l'a peinte dans de nombreuses scènes :
Gustave Moreau Salomé dansant devant Hérode
Le mythe de Salomé et Hériodias a souvent inspiré les arts et les lettres , surtout à partir du XIXème . Pourtant son signalement dans la Bible se limite à deux ou trois lignes :
.....Elle a épousé en secondes noces , Hérode Antipas le frère de son mari Hérode Boethos avant la mort de celui-ci , et dont elle avait une fille Salomé.
Le mythe poursuit :
Outragé par les dénonciations publiques de Jean Baptiste , le couple royal le fait emprisonner . Hérodias , particulièrement incriminée , veut la tête de Jean Baptiste et l'obtient en se servant des charmes de sa fille Salomé convoitée par Antipas .
Quelle est la part du mythe et celle de l'histoire quand l'évènement qui les a immortalisées appartient au plus grand mythe de notre culture , le mythe chrétien sur lequel s'est structuré notre civilisation depuis 2 millénaires ?
Historiquement, leur époux et père est clairement identifié :
Hérode Antipas, Tétrarque de Galilée de 4 av. JC à 39 ap JC.
(Fils d'Hérode le Grand, Roi de Judée, qui ordonna le massacre des Innocents)
Après avoir chassé (ou assassiné ) sa propre femme, il prit celle de son frère , Hérodias, transgressant les lois de son pays, qui qualifiaient cette relation d'incestueuse. Selon les Evangiles de Marc et de Mathieu c'est sur son ordre que Jean Baptiste fut décapité.
Toujours selon les Evangiles, l'emprisonnement de Jean Baptiste dans les prisons du Tétrarque serait liée à sa farouche dénonciation de la conduite d'Hérode et de Hérodias . Notons que le Saint s'en prend surtout à Hérodias sur laquelle il concentre toute sa colère ,son mépris et ses malédictions (Fâcheuse habitude de nos chroniqueurs chrétiens des premiers siècles).
Apparait Salomé, fille du premier mariage d'Hérodias. Hérode la convoite Usant des charmes de sa fille et de la concupiscence de son époux , Hérodias obtient la tête de Jean Baptiste.
On ne manquera pas de remarquer que le martyre du Saint est organisé sous une double influence féminine néfaste: transgression des lois par Hérodias plus que par Hérode , stratagème de la mère et de la fille pour contraindre Hérode à l'exécution de Jean Baptiste.
L'épisode a inspiré de nombreux artistes de la littérature, de la poésie, de la peinture ou de la musique qui ont privilégié l'une ou l'autre des héroïnes :
Hérodias, le dernier des Trois contes de Flaubert, est considéré par certains comme l'une de ses oeuvres les plus abouties Fidèle à la lettre des Evangiles, ce grand précurseur du roman moderne n'en a pas moins insisté sur la faiblesse ou la lâcheté d'Hérode et peint une Hérodias torturée par l'humiliation que lui infligent la haine de Jean Baptiste et l'indifférence insultante du Tétrarque.
[...]On avait déplié le vélarium, et apporté vivement de larges coussins auprès d'eux. Hérodias s'y affaissa, et pleurait, en tournant le dos. Puis, elle se passa la main sur les paupières, dit qu'elle n'y voulait plus songer, qu'elle se trouvait heureuse ; et elle lui rappela leurs causeries là-bas, dans l'atrium, les aux étuves, leurs promenades le long de la voie Sacrée, et les soirs, dans les grandes villas, au murmure des jets d'eau, sous des arcs de fleurs, devant la campagne romaine. Elle le regardait comme autrefois, en se frôlant contre sa poitrine, avec des gestes câlins. - Il la repoussa. L'amour qu'elle tâchait de ranimer était si loin, maintenant ! Et tous ses malheurs en découlaient ; car, depuis douze ans bientôt, la guerre continuait. Elle avait vieilli le Tétrarque. Ses épaules se voûtaient dans une toge sombre, à bordure violette ; ses cheveux blancs se mêlaient à sa barbe, et le soleil, qui traversait le voile baignait de lumière son front chagrin. Celui d'Hérodias également avait des plis ; et l'un en face de l'autre, ils se considéraient d'une manière farouche [...]
Stéphane Mallarmé en fait l'argument de son poème tragique :
Hérodiade
uverture ancienne d'Hérodiade
La Nourrice
(Incantation)
Abolie, et son aile affreuse dans les larmes
Du bassin, aboli, qui mire les alarmes,
Des ors nus fustigeant l'espace cramoisi,
Une Aurore a, plumage héraldique, choisi
Notre tour cinéraire et sacrificatrice,
Lourde tombe qu'a fuie un bel oiseau, caprice
Solitaire d'aurore au vain plumage noir...
Ah ! des pays déchus et tristes le manoir !
Pas de clapotement ! L'eau morne se résigne,
Que ne visite plus la plume ni le cygne
Inoubliable : l'eau reflète l'abandon
De l'automne éteignant en elle son brandon
Du cygne quand parmi le pâle mausolée
Ou la plume plongea la tête, désolée
Par le diamant pur de quelque étoile, mais
Antérieure, qui ne scintilla jamais.
Crime ! bûcher ! aurore ancienne ! supplice !
Pourpre d'un ciel ! Étang de la pourpre complice !
Et sur les incarnats, grand ouvert, ce vitrail... [... ]
J'aime l'horreur d'être vierge et je veux
Vivre parmi l'effroi que me font mes cheveux
Pour, le soir, retirée en ma couche , reptile
Inviolé sentir en ma chair inutile
Le froid scintillement de ta pâle clarté
Toi qui te meurs, toi qui brûle de chasteté,
Nuit blanche de glaçons et de neige cruelle .
[....]
Richard Strauss a préféré Salomé pour centre de son opéra, une Salomé capricieuse, autoritaire et sensuelle qui saura imposer son baiser à Jean Baptiste sur ses lèvres mortes.
Longtemps après le tableau de Léonard de Vinci, les peintres symbolistes ont fait de l'une ou l'autre, un de leur sujet favoris: Gustave Moreau, Lucien Lévy-Dhurmer, Aubrey Vincent Beardsley...
et Oscar Wilde
Aubrey--Beardsley--salome, illustration pour la pièce d' Oscar Wilde
Le mythe aurait atteint sa célébrité avec la pièce d' Oscar Wilde , écrite en français par le poète britannique en raison de la censure.
La complexité du mythe a fourni également un référent appréciable à la psychanalyse .