La femme casse les briques assise sur le trottoir,
La femme au sari' rouge casse les briques,
Sous le soleil brûlant,
La femme couleur de bronze casse les briques ,.
A vingt et un ans, elle en parait plus de quarante,
Et sept enfants l'attendent là-bas à la maison.
La femme casse les briques toute la journée,
En échange de quoi elle recevra dix takas, pas un de plus.
Dix takas ne suffisent pas à la nourrir, ni elle ni les sept autres.
Pourtant jour après jour, la femme casse les briques.
L'homme assis près d'elle casse aussi des briques,
Abrité sous une ombrelle.
Il touche vingt takas par jour, vingt par jour parce que c'est un homme.
La femme a un rêve, le rêve d'avoir une ombrelle.
Un autre de ses rêves serait, par un beau matin,
De devenir un homme.
Vingt pour les hommes, le double pour les hommes.
Elle attend que son rêve se réalise, mais rien ne la fait
devenir un homme,
Rien ne lui fait avoir d'ombrelle,
Pas même une ombrelle déglinguée.
On construit de nouvelles routes et d'immenses tours avec
les briques qu'elle a cassées, mais le toit de sa maison s'est
envolé avec la tempête l'an dernier, depuis l'eau goutte
à travers une tenture, elle meurt d'envie d'acheter un toit en tôle,
Alors elle hurle dans tout le voisinage,
Les gens s'esclaffent, oh là là, disent qu'il lui faudrait de
L'huile pour les cheveux, de la poudre pour le visage.
Les sept enfants doivent être nourris,
La peau de la femme s'assombrit de jour en jour,
Ses doigts deviennent durs comme des briques,
La femme elle-même devient une brique.
Plus dur que les briques, le marteau peut casser une brique
Mais ne peut pas casser la femme.
Rien, ni la chaleur du soleil, ni le ventre vide, ni le regret de ne pas avoir
Un toit en tôle,
Rien ne peut la briser.
(Talisman Nasreen, Femmes, poèmes d'amour et de combat )
Photographie: Dorothea Lange: Mére émigrante , Californie 1936,coll. Gruber