J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant
Et de baiser sur cette bouche la naissance
De la voix qui m'est chère ?
J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués, en étreignant ton ombre,
à se croiser sur ma poitrine..
Ne se plieraient pas
au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante
Et me gouverne depuis des jours et des années,
Je deviendrais une ombre sans doute.
Ô balances sentimentales.
J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps sans doute que je m'éveille.
Je dors debout, le corps exposé
À toutes les apparences de la vie
et de l'amour
Et toi..
Le seul qui compte aujourd'hui pour moi..
Je pourrais moins toucher ton front
et tes lèvres que les premières lèvres
et le premier front venu.
J'ai tant rêvé de toi, tant marché,
parlé, couché avec ton fantôme..
Qu'il ne me reste plus peut-être,
et pourtant..
qu'à être fantôme parmi les fantômes
et plus ombre cent fois que l'ombre qui se promène..
Et se promènera allègrement
sur le cadran solaire de ta vie.
Robert Desnos.
(Recueil Corps et bien 1930 )