Tandis que je demeure ceux qui favorisent illégitimement son amour, si toutefois je puis consentir à appeler de ce nom le hasard misérable qui les met en présence, se succèdent comme des fantômes. J'assiste à leur fugitive apparition. Comment serais-je jaloux d'eux, instrumentas inconscients d'une destinée poétique et pathétique, jouets d'une fatalité plus haute que la leur et qui ne les suscite que pour éprouver davantage la patience invincible que j'oppose aux avatars et aux tribulations. Patience, mais non résignation. Je garde le secret de mes tempêtes et de mes désespoirs. Le récif placé au milieu d'un cyclone ne subit pas l'atteinte de l'écume. Elle glisse sur ses arêtes lisses et si l'eau qui ruisselle sur lui laisse un peu de sel dans les fissures, celui-ci se transforme en cristaux féériques. ( J'aime l'éclat que laissent aux yeux profonds les larmes intérieures.)
J'attends depuis des années le naufrage du beau navire dont je suis amoureux. Je vois les tourbillons s'amonceler dans le ciel en telle quantité que depuis longtemps la catastrophe aurait dû s'abattre sur la mer trop calme et que, puisqu'elle attend, il est impossible de douter qu'elle sera terrible et fabuleuse.
J'aspire à ce naufrage, j'aspire à la fin tragique de ma patience. Le beau navire impassible qui parfois se présente à moi sous l'aspect du bateau fantôme n'acceptera pas la perte corps et biens sans entraîner celle du récif qui la causera.
Tandis que je demeure ses amants illégitimes se succèdent et passent. Il est des jours où je crois qu'elle sait, des jours où je crains d'être dupe. Mais je demeure et ils passent. Elle accepte dans sa vie la présence de mes pensées non dissimulées, elle acceptera quelque jour le témoignage tragique et écrasant que j'apporterai de mon amour et du sien.
Et du sien. Car nul doute qu'elle ne m'aime ou m'aimera , car je ne saurais condescendre à soumettre cette question à l'illusoire condition de temps.
Mais pourtant je ne suis pas de ceux qui s'humilient et qui acceptent. La tempête, j'en serai l'auteur et une des victimes. Pensées amoureuses, devenez plus terribles et plus sereines, jour prochain du règlement de comptes, lève-toi.
Je demeure, ils passent.
Et qu'ils passent ainsi, vagues fantômes soumis des rites sexuels et qui ont oublié les lois spirituelles de l'amour qu'ils prétendent éprouver.
Vivant par l'âme et la matière je n'aurai au jour voulu qu'à lever le doigt pour que ces nuages dérisoires soient balayés avec les premières épaves, au souffle de l'amour réciproque.
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