Agé de 48 ans à la déclaration de guerre entre l’Allemagne et la France Romain Rolland n’était pas mobilisable .Il resta en Suisse et multiplia ses actions en faveur de la paix par ses écrits et par son engagement au sein de la Croix rouge dont le siège était à Genève. Durant toutes ces années il milita en faveur du pacifisme et lança ses appels au rapprochement des peuples. Il entretenait une vaste correspondance avec beaucoup d’intellectuels européens partageant ses idées et notamment avec Stefan Zweig.
Stefan Zweig lui adressa ses félicitations Auxquelles Romain Rolland répondit par cette lettre dans laquelle transparait sa générosité , la fidélité à ses convictions et l'amitié entre les eux hommes.
Lettre 174 Stefan Zweig à Romain Rolland [en traduction]
Vienne (Télégramme)
10 novembre 1916
Sincères félicitations pour cette distinction , qui, en honorant votre nom si cher , rend immortelle votre œuvre tant aimée , et l’arrache à ces sombres journées .
Stefan Zweig
Lettre 175 Romain Rolland à Stefan Zweig
Grand Hotel Château Bellevue Sierre ( Valais)
Lundi 13 Novembre 1916
Cher fidèle ami, votre salut affectueux a été une fois de plus le premier de tous à me parvenir. Je ne puis vous dire combien je suis touché de cette constance du cœur qui veille sans se lasser. Mais pour conserver, comme nous le faisons, le culte de l’humanité, par des temps barbares, il faut bien, n’est-ce pas que nous soyons l’un et l’autre, de la race des fidèles ?
Elle est petite aujourd’hui par le monde ; mais comme dit Emerson , il suffit d‘un seul avec Dieu pour faire une majorité.
Ici, je ne suis pas tout à fait seul ; j’ai deux ou trois de mes amis qui partagent mes idées : entre autres le poète P.J. Jouve, dont vous connaissez, je crois quelques livres.
Cette guerre a fait naître chez nous de belles œuvres. Parfois elles sont sorties d‘hommes modestes qui ne s’étaient pas fait connaître et ne l’avaient même pas tenté, au cours d‘une vie déjà mûre. La souffrance est venue et, du fond de leur être, a fait jaillir un cri poignant et révélateur. Je voudrais que vous puissiez lire notamment l’admirable livre que vient de publier à Genève un vieux brave homme1, un peintre verrier, un grand croyant qui a perdu dans cette guerre un fils adoré. Nulle violence, nulle emphase tragique. Un bons sens héroïque, que rien n’arrête, qui va, intrépidement calme « jusqu’au bout ; une tristesse virile », sur laquelle plane une religieuse paix.
Vous lirez ça plus tard : car cela ne peut guère sortir en ce moment d‘où je suis.
Je travaille, j’amasse et je sème pour l’avenir, - pour cet avenir que nous ne verrons probablement pas, mais qui sera fait pour une part de notre chair et de notre sang.
Je m’aperçois que je ne vous ai rien dit du prix. Je suis reconnaissant à l’Académie Suédoise de l’honneur qu’elle me fait, bien que j’en eusse jugé Spitteler plus digne. Je ne veux rien garder de l’argent. Je viens d’écrire aux journaux que j’en disposerai entièrement en faveur d‘œuvres de bienfaisance et d’assistance. Je ne veux rien pour moi que la liberté.
Au revoir j’espère mon cher ami . Puissions-nous bientôt voir l’aurore qu’annoncent , d’heure en heure , nos cris persévérants de veilleurs perdus dans la nuit.
Affectueusement à vous.
Romain Rolland
1) Gustave Dupin "La guerre infernale",
1861-1933 Maître-verrier. - Militant pacifiste. - Fut l'un des fondateurs de la Société d'études pour la recherche des responsabilités de la guerre. - Fut l'un des fondateurs du journal "La Plèbe" (en 1918). - Dirigea (avril 1923-mars 1924) la revue mensuelle "Vers la Vérité"
Une vidéo qui nous fait atteindre le sublime :
"30 ans d'amitié"
https://www.youtube.com/watch?v=hFiTk57P9gc