mardi, 02 juillet 2013 00:00

Les joueurs d'echecs

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Fernando Pessoa / Ricardo Reis

Ouvi Contar Que Outrora....

les joueurs d'échecs ,mes peintures J'ai entendu conter que jadis, quand la Perse

Connut je ne sais quelle guerre,

Pendant que l'invasion s'embrasait dans la Ville

Et que hurlaient les femmes,

Ils étaient deux joueurs d'échec et ils jouaient

A leur jeu ininterrompu.

A l'ombre d'une ample frondaison, leurs regards

Etaient rivés à l'échiquier antique,

Et au coté de chacun d'eux, en prévision

Des moments de répit,

Quand il avait bougé une pièce, et qu'alors

IL attendait son adversaire,

Une cruche de vin était là qui rafraîchissait

Sa sobre soif.

Et les maisons brûlaient, et on mettait à sac

Les coffres, les enceintes,

Violées , les femmes étaient plaquées

Contre les murs jetés à bas,

Percés de lances, les enfants n'étaient

Que sang à travers rues....

Mais là où ils se trouvaient, près de la ville

Et loin de son vacarme,

Nos deux joueurs d'échec jouaient

Au jeu d'échecs.

Qu'à travers les messages d'un vent de solitude

Leur parvinssent les cris,

Que , dans la réflexion montât du fond de l'âme

L'intuition que leurs femmes,

Comme leurs tendres filles, étaient violées sans doute

A si proche distance,

Que dans le moment même où ces pensées venaient

Légère une ombre

Passât sur leur front vague, leur front indifférent,

Vite leurs yeux paisibles

Rendaient toute leur attentive confiance

A leur vieil échiquier.

Lorsque le roi d'ivoire est en péril,

Qu'importent la chair et les os

Des soeurs, des mères, des enfants ?

Lorsque la tour ne couvre plus

La retraite de la dame blanche, le sac

N'a guère d'importance.

Et lorsque la main assurée met en echec

Le roi de l'adversaire

Dans l'âme peu importe que là-bas

Filles et fils soient à périr.

Quand au-dessus du mur , tout soudain surgirait

La face forcenée

De quelque envahisseur en armes, quand bien vite

Devrait s'effondrer ici même

En sang, le solennel joueur d'échecs,

Le moment précédent

(Encore dédié à calculer un coup

Dont l'effet portera des heures

Plus tard) est consacré au jeu chéri

Des grands indifférents.

S'écroulent les cités, souffrent les peuples, cesse

La liberté, cesse la vie

Les biens tranquilles hérités des aïeux soient

La proie de feu, de la rapine,

Mais quand la guerre interrompra le jeu, le roi

Puisse-t-il n'être pas échec,

Et l'ivoire du pion le plus avancé, être

Prêt à prendre la tour.

Mes frères en l'amour d'Epicure,

Nous qui le comprenons

D'après nous-mêmes , plus que d'après lui,

Apprenons dans l'histoire

Des paisibles joueurs d'échecs

A passr notre vie.

Que nous importe peu tout le sérieux du monde,

Sa gravité nous soit légère,

Puisse le naturel élan de nos instincts

Céder au plaiisir inutile

(Sous l'ombre tranquille de quelque frondaison)

De jouer une bonne partie.

Ce que nous retirons de la vie inutile

A autant de valeur -

Gloire, renommée,amour, science , vie -

Que si c'était tout juste le souvenir

d'une partie gagnée

Sur un joueur meilleur que soi.

Comme un fardeau trop riche ainsi la gloire pèse,

La renommée est une fièvre,

L'amour , chose sérieuse et soucieuse fatigue,

La science ne trouve jamais,

Et la vie passe et fait souffrir, car elle

Le sait bien ... La partie d'échecs

Investit l'âme entière, mais , perdue, elle y pèse

Peu, car elle n'est rien.

Ah, sous les ombres qui à leur insu nous aiment,

Une cruche de vin

A portée de la main , attentifs aux manoeuvres

Inutiles du joueur d'échecs,

Quand bien même le jeu ne serait qu'un rêve,

Qu'il n'y ait pas de partenaire,

Pour modèle prenons les Perses de ce conte,

Et tandis qu'au dehors,

De près, comme de loin, guerre , patrie et vie

Nous appellent, eh bien laissons-les

Nous appeler en vain, et que chacun de nous

Sous les ombres amies

Reste à rêver, lui les partenaires, et l'échiquier

Leur indifférence.

(Sonhando,ele os parceirose o xadrez/ Asua indiferença )

Odes éparses Traduction de maria Antonia Câmara Manuel, Michel Chandeigne et Patrick Quillier , C.Bourgois editeur

Sur Youtube : Ouvi Contar Que Outrora....

Lu 5978 fois Dernière modification le vendredi, 15 août 2014 23:36

1 Commentaire

  • Lien vers le commentaire Philippe Escallier lundi, 04 septembre 2023 12:56 Posté par Philippe Escallier

    De qui est l'illustration ?
    De la plume de Ricardo Reis, hétéronyme soi-même de Pessoa ?
    A-t-elle été publiée avec la parution de ce poème ?
    cordialement

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