Le 19 octobre 1943 Camille Claudel s'éteignait à 79 ans après 30 années de totale réclusion dans un asile psychiatrique près d'Avignon , pratiquement coupée du monde et de sa famille dont les membres ne lui rendront visite qu'exceptionnellement, sa mère en particulier qui refuse de la voir .
Elle était née en 1864, l'ainée des trois enfants Louise née en 1866 et Paul né en 1868.
Le père un anticlérical républicain pourtant élevé chez les Jésuites , autoritaire et fantasque avait épousé une femme de la petite bourgeoisie de l'Aisne , fille de médecin , femme de devoir mais distante avec ses enfants .
Paul très tôt révèle sa vocation littéraire, Louise se destine à la musique et Camille ne songe qu'à la sculpture. La famille se compose de caractères très affirmés , les querelles sont fréquentes et elle évolue pratiquement en vase clos dans des petites villes de Province. Camille prend l'ascendant sur la fratrie , et impose à tous ses volontés .Paul parlera plus tard de l'autorité qu'elle exerçait sur eux .
L'évolution de carrière du père permet aux enfants de développer leurs aptitudes artistiques respectives .
Camille rencontre un jeune sculpteur Alfred Boucher qui la conforte dans sa vocation . A cette époque la carrière artistique des femmes est encore considérée comme extravagante et Paul est tout de suite effrayé par le choix de sa sœur .
En 1881 la famille s'installe à Pais , sous la pression de Camille dit-on , mais peut être simplement conformément aux vœux du père qui souhaite l'épanouissement artistique de ses enfants . Paul gardera toutefois la nostalgie de leur ancienne vie provinciale
A 17 ans Camille suit les cours de l'académie de sculpture dirigée par Alfred Boucher . Sollicité par Florence , il demande à son ami Rodin de le remplacer dans son école de jeune sculptrices .
Rodin a 42 ans Il connait depuis peu le succès mais accepte ce rôle où il va rencontrer Camille dont il remarque immédiatement le talent . L'état lui ayant passé une commande importante ( Les bourgeois de Calais ) , Rodin décide de prendre Camille dans son atelier .contrairement aux usages d'alors, peu favorable à cette mixité professionnelle.
A partir de ce moment va se nouer l'intense relation qu'on connait entre les deux artistes mêlant le travail , l'art et les sentiments avec leurs rivalités , leurs enthousiasmes et leurs luttes de « pouvoir « alternativement dans la fusion et le déchirement .
Rodin tombe en effet très rapidement amoureux tout comme Camille.
Mais Rodin depuis 20 ans partage sa vie avec Rose Beuret dont il a un fils qu'il ne reconnaitra jamais .Il doit beaucoup à Rose qui l'a soutenu durant les longues années difficiles de ses débuts d'artiste et elle est encore là pour son quotidien. Rose sera donc toujours la rivale de Camille en dépit de leur passion réciproque .L'évolution artistique
D'abord Camille accepte sa condition d'élève , s'adapte au style de Rodin , puis leurs créations montrent de plus en plus d' influences réciproques au point que certaines pièces sont signées par l'un ou par l'autre . « Les deux amants font preuve d'une énergie créatrice étonnante , se nourrissant l'un de l'autre »
Pendant ce temps Paul fait ses études à Louis le grand où ses condisciples sont Alphonse Daudet , Marcel Schwob et Romain Rolland . D'un tempérament peu communicatif il se lie peu mais consolidera plus tard avec eux, amitiés ou relations.
Quand Mallarmé montre de l'intérêt pour ses poèmes Il est admis dans le cercle d'artistes de la rue de Rome, ce qui permet à Camille qui souvent l'accompagne de rencontrer Pierre Louys, André Gide , Claude Debussy , Paul Valéry.
En 1886
Camille s'échappe en Angleterre afin de mettre quelques distances entre elle et Rodin . C'est seulement à cette époque que Paul découvre la liaison de sa sœur avec le sculpteur . Il réagit vivement , désapprouvant cette relation qui heurte sa moralité et aussi pour avoir été tenu à l'écart de la confidence incompatible avec leur complicité fraternelle.
C'est aussi en 1886 que Paul découvre la foi . Il s'en confie à Camille, mais attendra 1890 pour en faire part au reste de la famille.
Les relations entre Camille et Rodin se font plus difficiles : rivalité avec Rose que Rodin ne veut pas quitter et désir d'indépendance artistique de Camille dans son besoin de s'émanciper de l'ascendant de Rodin . En dépit de leurs désaccords , Rodin ne cessera de protéger Camille de mille façons (financièrement ou influences auprès des différents acteurs du marché de l'art) La soutenant pour la reconnaissance de ses œuvres dans un milieu machiste .
A partir de 1887 Camille quitte sa famille et s'installe boulevard d'Italie et Rodin fait l'aller et retour entre son domicile officiel et celui de Camille, entretenant une situation affective douloureuse pour la jeune femme.
Refusant les aléas d'une vie de bohème qui l'effraie Paul, embrasse la carrière diplomatique qui l'entraine à l'étranger et Camille subit les absences de ce soutien moral essentiel .
En 1892 il semble qu'elle connaisse de nouveaux drames probablement lié à un avortement . C'est l'époque de « la petite châtelaine ».
C'est ensuite une succession de succès et d'échecs dans un milieu peu favorable aux aspirations féminines malgré le soutien de nombreuses amitiés dont celle toujours constante et souvent secretement de Rodin et aussi de Debussy avec qui elle se lie d'une profonde amitié .
Elle crée la vague , la valse , l'âge mûr ....mais le plus souvent doit se contenter de réalisations en argile ou en bronze, le marbre supposant de gros investisseurs au travers notamment de commandes d'état qu'elle n'obtient pas .
En 1893 c'est avec Rodin la séparation .
L'âge mûr
Quand le marbre pour l'âge mûr lui est refusé elle en accuse Rodin à tort . Celui-ci avait en effet mal réagi devant cette composition où il trouvait trop d'analogies avec leur propre relation .
Toujours à court d'argent , harcelée par ses créanciers , elle s'épuise au travail , se sent persécutée et son humeur devient de plus en plus difficile.
Peu à peu son équilibre psychique est ébranlé.
Ayant détruit périodiquement la plupart de ses œuvres , relativement peu nous sont accessibles.
l
Niobide blessée
La Niobide blessée sera sa dernière création .
En 1913 , sa famille prend la décision de la faire interner .
"Le métier de sculpteur est pour un homme une espèce de défi perpétuel au bon sens, il est pour une femme isolée et pour une femme avec le tempérament de ma soeur une pure impossibilité. Elle avait tout misé sur Rodin, elle perdit tout avec lui. Le beau vaisseau, quelque temps ballotté sur d'amères vagues, s'engloutit corps et biens."
Paul Claudel, "Ma soeur Camille, son oeuvre est l'histoire de ma vie" Le Figaro littéraire, 17 novembre 1951
de haut en bas: Vertume et Ponome (détail), la femme accroupie, La petite châtelaine, l'âge mûr, Niobide blessée , Vertume et Ponome