mercredi, 13 janvier 2016 18:46

La tragédie

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La banquise de Caspar David Friedrich
Le beau et le sublime
(Monde, III, 244-5.)

Le plaisir que nous prenons à la tragédie se rattache non pas au sentiment du beau, mais au sentiment du sublime, dont il est même le degré le plus élevé. Car, ainsi qu'à la vue d'un tableau sublime de la nature nous nous détournons de l'intérêt de la volonté pour nous comporter comme des intelligences pures, ainsi, au spectacle de la catastrophe tragique, nous nous détournons du vouloir-vivre lui-même. Dans la tragédie, en effet, c'est le côté terrible de la vie qui nous est présenté, c'est la misère de l'humanité, le règne du hasard et de l'erreur, la chute du juste, le triomphe des méchants; on nous met ainsi sous les yeux le caractère du monde qui heurte directement notre volonté. A cette vue nous nous sentons sollicités à détourner notre volonté de la vie, à ne plus vouloir ni aimer l'existence. Mais par là même nous sommes avertis qu'il reste encore en nous un autre élément dont nous ne pouvons absolument pas avoir une connaissance positive, mais seulement négative, en tant qu'il ne veut plus de la vie. L'accord de septième demande l'accord fondamental, la rouge appelle et produit à même à l'oeil la couleur verte; de même chaque tragédie réclame une existence tout autre, un monde différent, dont nous ne pouvons jamais acquérir qu'une connaissance indirecte, par ce sentiment même qui est provoqué en nous. Au moment de la catastrophe tragique, notre esprit se convainc avec plus de clarté que jamais que la vie est un lourd cauchemar, dont il nous faut nous réveiller. En ce sens l'action de la tragédie est analogue à celle du sublime dynamique, puisqu'elle nous élève aussi au-dessus de la volonté et de ses intérêts, et transforme nos dispositions d'esprit au point de nous faire prendre plaisir à la vue de ce qui lui répugne le plus. Ce qui donne au tragique, qu'elle qu'en soit la forme, son élan particulier vers le sublime, c'est la révélation de cette idée qu'est le monde, la vie sont impuissants à nous procurer aucune satisfaction véritable et sont par suite indignes de notre attachement; telle est l'essence de l'esprit tragique; il est donc le chemin de la résignation. (Monde, III, 244-5.)

Lu 4467 fois Dernière modification le mercredi, 13 janvier 2016 20:02

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