Grünewald , son contemporain , fut le dernier grand peintre gothique en Allemagne mais Dürer fut un des artistes les plus marquants pour assurer le passage du Moyen Age à la Renaissance. Renaissance à la manière allemande et non Italienne : si au Sud elle développa un renouveau du paganisme antique , dans la patrie de Dürer elle demeura ancrée dans le mysticisme médiévale chrétien germanique .
Le système féodal avait alors cédé progressivement la place à une société de riches commerçants et banquiers qui pèsera de tout son poids sur la politique et la création artistique . C'est la naissance du capitalisme privé avec en outre , la grande invention de l'imprimerie en 1439 qui permet la diffusion des idées anciennes et nouvelles , à la fois vulgarisation des savoirs et idéologies nouvelles , provoquant une remise en cause des institutions traditionnelles aussi bien politiques que religieuses . Des conflits latents plus ou moins contenus éclatent entre les puissants seigneurs , l'église et les nouveaux bourgeois à l'origine de rebellions idéologiques à caractère social ou religieux avec soulèvements paysans . En Allemagne la crise débouche sur le grand bouleversement de la Réforme (1521-1555) avec Luther pour chef de file .
C'est dans ce climat que Dürer grandit et ce serait regarder superficiellement le peintre que de le détacher de ce contexte social . On peut être surpris par l'égocentrisme qui émane de ses autoportraits en opposition avec ses œuvres plus tardives ou ses écrits empreints d'humilité , de religiosité et de sagesse et enfin de pessimiste mélancolie.
Dans une ville de tradition morale et intellectuelle ,l'artiste jusque là maintenu en condition de vassalisation vis-à-vis de ses protecteurs ou commanditaires , est séduit par l'humanisme florissant qui situe l'homme au Centre du monde (Si Dürer fut ami de Luther il fut aussi celui d'Erasme) entrainant ce besoin d'affirmer son identité, ses libertés notamment créatrices , sa propre personnalité et sa « propriété intellectuelle » ,souscrivant à la valorisation de l'individu qui se juge méritant au-delà de son appartenance à une catégorie sociale ou à ses origines (Dürer était d'origine hongroise et fils d'orfèvre ) .C'est ce que met en évidence les signatures régulières et références scrupuleuses à ses propres œuvres . Ses nombreux autoportraits en sont une autre preuve.
Son dernier autoportrait il le fait à 28 ans mais longtemps encore il se représente dans ses tableaux identifiable sans ambiguïté. . La qualité de son trait , son goût du détail , de la précision, des motifs décoratifs qu'il tient du réalisme introduit par ses prédécesseurs, lui permettent d'offrir une image idéalisée de lui-même qui s'ajoute , à n'en pas douter à son charme naturel. Il est beau , il le sait , il l'affirme. Peut-être jusqu'à l'excès quand on regarde son dernier portrait où sa représentation est manifestement christique .
Pourtant l'homme est loin d'être superficiel Au contraire tous textes les siens comme ceux de ses contemporains, témoignent d'une haute valeur morale dans ses rapports avec sa famille , ses amis et le monde qu'il côtoie ( compris la fidélité à ses protecteurs) , d'une préoccupation constante des sujets métaphysiques ou philosophiques ou religieux ., ou de la transmission de son savoir par la théorisation de ses expériences artistiques.
Dans cette ville de Nuremberg il acquiert la respectabilité mais l'amertume se lit à plusieurs reprises lorsqu'il quitte Venise par exemple , lorsqu'il publie ses traités à compte d'auteur , lorsqu'il se réfugie dans son moyen d'expression , certes favori secondaire par rapport à la peinture où sa liberté d'expression est limitée. , lorsqu'il doit donc à la gravure son véritable moyen d'existence et sa plus grande popularité.
Il n'est pas surprenant qu'alors lorsque le moment se présente ses amitiés le fasse pencher en faveur de Luther et de la nouvelle cause. Les besoins de Réforme, il les ressent dans son quotidien .Il signe parfois des manifestes , il entretient ses relations avec ses amis soutenant leur cause mais il ne deviendra jamais luthérien ennemi de ses protecteurs .
Tiraillé entre l'humanisme d'Erasme et le revirement luthérien , on peut concevoir qu'il fut gagné par le doute . Il tente d'y échapper dans un recours à l'ésotérisme ( alchimie , magie) comme bien des savants de son époque . Son esprit scientifique lui laisse espérer que les clés de la Vérité comme du Beau Idéal se cachent dans les sciences .... Comme il espère dans l'enseignement de Luther , trouver le chemin de son salut.
Mais sa vie s'achève dans une résignation pessimiste qu'on peut lire dans une de ses œuvres majeures, gravure sur cuivre : Mélancolie I ou l'impuissance à trouver l'idéal de la perfection et du bonheur semble être la destinée de l'homme sur terre , en ce monde ou tout n'est que vanité et qu'il traduit par une accumulation symbolique des espérances humaines vouées à l'échec.
Délaissant peu à peu la peinture, il les consacre ses dernières années à l'écriture , à la transmission de son savoir toujours soucieux de la place qu'il occupera dans la postérité .
Durer autoportrait christique (détail)
Mj 2012
Sites Web :
http://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/durer_et_son_temps.asp
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