L'Ukiyo-e
Littéralement : " la peinture du monde qui passe ", est l'expression d'une classe de marchands, de plus en plus influente et d'une population urbaine croissante, deux classes éloignées de la culture classique mais qui sentent l'opportunité de s'imposer et cherchent à communiquer et à valoriser leurs activités par leurs propres moyens .
Au 16ème siècle les premières estampes apparaissent en noir et blanc, remplacées rapidement par les estampes polychromes : différentes planches de bois sont utilisées pour ajouter les couleurs une à une sur la feuille.
L'estampe qui correspond à une culture populaire est longtemps sous-estimée dans son propre pays. Considérée comme une forme d'artisanat fonctionnel elle rencontre le mépris de la classe impériale et de celle des samouraïs.
Elle sera revalorisée au XXème siècle , soutenue par le vieux continent .
Technique
Elle doit sa valeur artistique aux talents conjugués de 4 maîtres : l'artiste , le graveur , l'imprimeur et l'éditeur qui travaillent en équipe comme dans la typographie européenne.
En principe il faut à un artiste 4 ans d'apprentissage dans une école de peinture et 10 pour un graveur .
Matériaux
Papier fabriqué à la main à partir de la plante du mûrier.
Bois de cerisier pour les blocs de bois taillés
Dans le souci du respect de la tradition , les estampes continuent d'être exécutées généralement dans les mêmes matériaux . Les teintures végétales sont toutefois progressivement remplacées par des couleurs chimiques qui gardent leur éclat contrairement aux anciens pigments, passant au fil du temps du fait de l'humidité (les estampes anciennes pour cette raison présentent rarement des couleurs vives) .
Historiquement
En 1853 , le japon représente la dernière frontière à franchir pour l'expansion coloniale en Asie, notamment américaine.
Devant l'exemple de la Chine humiliée, le Japon n'est guère tenté par une ouverture sur le monde occidental et la politique du Sakoku s'y oppose.
L'isolationnisme prend fin à l'issue d'une épreuve de force.
Les occidentaux qui ne connaissent l'art japonais qu'à travers ses porcelaines et ses laques exportées de Nagasaki , seul port ouvert sur le monde extérieur via la Cie hollandaise des Indes occidentales sont immédiatement séduits par la valeur des estampes japonaises .
Paradoxalement les estampes, toujours profanes , trouvent leur origine dans un contexte religieux .
Autrefois les fidèles avaient l'habitude de ramener de leurs visites aux temples , des images ou des textes d'abord de facture grossière puis de plus en plus artistique, reproductions en série sur papier, nécessitant l'utilisation de blocs de bois (images stéréotypées et particulières à chaque temple), bien moins onéreuses que des peintures ou calligraphies traditionnelles.
Les Thèmes
Illustrations :
A gauche : Beauté (Hishigawa Moronobu , période Edo )Is
A droite : Courtisane portant un kimono orné de plumes ( Kaigetsudo Ando , période Edo)
Souvent à fins publicitaires ou de propagande , elles s'inspirent de la vie quotidienne. Hokusai introduira les thèmes de la peinture traditionnelle réaffirmant dans cette technique l'attachement aux choses de la nature, constante de l'esprit japonais .
Sont reproduites , des aventures sentimentales , des rencontres amoureuses , des figures représentant des acteurs en vogue ou des courtisanes célèbres . L'estampe se fait parfois chronique comportant finesse et humour.
L'Ukiyo
Le genre le plus connu en occident , vient du concept bouddhiste d'éphémère.
Le monde est guidé par le désir qui entraîne l'attachement conduisant à une insatisfaction perpétuelle et donc à l'impossibilité d'atteindre le salut .
Seul le détachement des biens , des sentiments et des sensations du monde conjugué à un effort constant vers la compréhension de la réalité ultime peut conduire à l'illumination .
Mais cet enseignement peut amener à son contraire : si tout ce qui est terrestre et matériel est illusoire , pourquoi ne pas en profiter au maximum.
Cette conception trouve sa place chez les nouvelles classes influentes des commerçants et citadins qui veulent pouvoir exprimer leur choix pour cette conception nouvelle d'existence. L'Ukiyo-e en fut l'instrument idéal et indispensable afin de vanter ce que les villes pouvaient offrir de plus agréable.
Les samouraïs réagirent vigoureusement contre ce qu'ils percevaient comme une perte des valeurs ancestrales, par des actes de censures de confiscation ou de destruction des œuvres .
Le dynamisme des nouvelles tendances en imposant celles-ci , assura le développement et l'extension de ce mode d'expression artistique .
Quelques noms
Hishikawa Moronobu (1615-1694)
Suzuki Harunobu (1725 –1770)
Kitagawa Utamaro (1753-1806)
Tôshûsai Sharaku (1770- 1825)
* Katsushika Hokusai (1760-1849)
Ichiryûsai Hiroshige (1797-1858)
Il est intéressant de souligner le dynamisme de l'art des estampes qui suit l'évolution de la société japonaise. D'abord populaire et à vocation fonctionnelle la qualité et le savoir-faire lui conquièrent ses lettres de noblesse pour le faire passer d'un art mineur à celui d' art véritable.
Avec l'ouverture au monde , les techniques évoluent comme les couleurs qui d'une origine strictement végétale adoptent des composantes chimiques
A la fin du XIX ème siècle , l'estampe connaît une crise profonde , aggravée par l'apparition de la photographie.
Le genre Ukiyo-e s'achève en 1912 avec la période Taishô.
Revalorisée en tant que technique artistique grâce au mouvement Shin Hanga (1) elle devient plus culturelle et intellectuelle.
Abandonnant ses origines populaires l'estampe devient un objet de collection et un moyen raffiné d'interpréter la réalité .
Vue nocturne de la rue Qaruwaka,(Andô Hiroshige De la série les cent sites d'Edo)
(1)Mouvement fondé par l'éditeur Watanabe Shozaburô (1885-1962), la lumière et la perspective s'ajoutent à la technique traditionnelle .