La renommée de Vainämöïnen , barde et magicien, s'est répandue bien au-delà des terres du Kalevala. Joukahainen, jeune barde présomptueux de Laponie décide d'aller provoquer son rival, contre les avis de sa famille qui cherche à le retenir, convaincue de la supériorité du vieux barde.
"Là-bas on t'ensorcellera,
Tu sera berné par leurs chants,
Bouche et tête dans le verglas,
Les poingts dans le gel violent
Tes mains ne pourront s'agiter,
Tes pieds deviendront immobiles."
[...]
Il n'obéit pas , il partit.
Il prépara son beau cheval
Dont les naseaux jetaient du feu,
Dont les jarrets étincelaient;
Il attela l'ardent poulain
Devant le grand traineau doré
Il monta dans le beau traineau,
D'un bond s'installa sur le siège,
Frappa du bâton le coursier,
Brandit le fouet orné de perles
Le cheval se mit à bondir,
A galoper avec ardeur
[...]
Les deux traineaux se croisent , sur les prés du Kalevala et se brisent sous la violence de la rencontre . A la fin d'une longue joute oratoire , Vainämöïnen terrasse son adversaire par ses enchantements et Joukahainen, vaincu propose la main de sa jeune soeur Aïno pour sauver sa vie.
De retour au logis Joukahainen confesse le marché à sa famille. Devant les protestations de la jeune fille qui se révolte à la perspective d'un mariage avec un vieil homme, la mèrer tente de la convaincre en vantant la gloire qui résultera de ce mariage.
"Mais la soeur de Joukahainen
Se mit à geindre sur son sort;
Un jour, deux jours elle pleura
Couchée à travers l'escalier,
Elle pleura son grand chagrin,
Son âme amère et désolée.
Sa mère se mit à parler :
"Pourquoi pleurer petite Aïno ?
Tu vivras chez un fiancé,
Dans la maison d'un homme illustre
Pour être assise à la fenêtre,
Pour bavarder sur le long banc."
La fille répondit ainsi :
"Hélas, mère qui m'a portée
Je pleure sur beaucoup de choses ,
Sur la beauté de mes cheveux,
Sur l'abondance de mes tresses,
Sur la finesse de mes boucles,
Car jeune je dois les cacher,
Les voiler quand je pousse encore.
Je pleurerai toute ma vie
La tendresse du chaud soleil,
La douceur de la belle lune,
La magnificence de l'air,
Car jeune je dois les quitter.
[...]
Chant 4
Aïno, désolée de devenir l'épouse d'un vieillard se noie
Dans un bois Aïno rencontre Vainämöïnen:
Elle revenait au logis,
Trottinait dans le bosquet d'aunes
Quand vint le vieux Vainämöïnen.
Il vit la vierge dans le bois,
La robe fine parmi l'herbe,
Il parla de cette façon :
"Vierge ce n'est pas pour les autres,
Jeune fille c'est pour moi seul
Que tu portes au cou des perles,
Qu'une croix orne ta poitrine
Que tes cheveux sont mis en nattes
Noués par un ruban de soie."
La jeune fille répondit:
"Ce n'est pas pour toi ni pour d'autres
Qu'une croix orne ma poitrine
Et qu'un ruban noue mes cheveux !
Je fais fi des beaux habits bleus,
Me moque du pain de froment,
J'aime mieux des robes étroites,
Préfère des croûtons de pain,
Dans le logis de mon père
Avec ma mère bien-aimée."
De retour au logis , elle raconte sa rencontre avec Vainämöïnen et à nouveau justifie son chagrin et ses regrets . La mère encore tente de la convaincre en lui vantant les avantages de sa future condition :
A l'enfant la vieille parla:
"Ne pleure plus ma chère fille,
Ne geins pas fruit de ma jeunesse !
Un an nourris-toi de pur beurre
Tu seras plus fraîche que toutes.
Un autre an nourris-toi de porc,
Tu seras plus vive que toutes.
Un troisième an de pain de crème
Tu seras plus belle que toutes.
Rends-toi vite sur la colline
Ouvre le grenier le meilleur,
Un coffre est sur un autre coffre
Un bahut à côté d'un autre
Fais grincer le brillant couvercle
Tu verra six ceintures d'or,
Sept magnifiques robes bleues
[...]
Mais le desespoir d'Aïno est trop grand :
"Mieux aurait vallu m'ordonner
D'aller sous les vagues profondes
Pour être la soeur des poissons,
La parente des lavarets;
Mieux vaudrait être dans la mer,
Habiter au-dessous des ondes
Telle que la soeur des poissons
La parente des lavarets
Que d'être le soutien d'un vieux
De protéger celuii qui tremble,
Qui trébuche dans ses chaussettes
Qui s'achoppe à chaque bûchette"
[...]
Un jour elle alla, puis un autre
Au terme du troisième jour
Elle parvint devant la mer,
[...]
C'est ainsi que périt l'oiselle
Que disparut la jeune vierge
....
La mère se mit à pleurer
La source des larmes coula;
Puis elle prononça ces mots
La malheureuse dit ses peines
"Au grand jamais, ô pauvres mères
Pendant le cours de cette vie,
Ne bercez vos petites filles
Ne soignez vos jeunes enfants
Pour les contraindre au mariage
Comme je l'ai fait pauvre mère
Comme j'ai bercé ma fillette,
Elevé ma belle colombe."
Des larmes de la mère naquirent trois fleuves, trois cascades dans chaque fleuve , de chacune une colline d'or au sommet desquelles s'élancèrent trois bouleux où se posèrent trois coucous d'or. Le premier chantait Amour, le second Amante, le dernier Gaité. Amour pour la vierge privée d'amour , Amante pour le fiancé sans amie , gaité pour la mère sans joie.
Chant 5
Vainämöïnen cherche Aïno dans la mer. Il décide d'aller épouser une fille de Pohjola.
Tristesse de Vainämöïnen
Il pleura le soir, le matin
Il pleura surtout pendant la nuit
Car la belle avait disparu
La vierge s'était endormie
Enfoncée dans l'onde limpide
Au-dessous des vagues profondes.
...
Il invoque Untamo, frère de Kalervo et divinité du rêve et lui demande où se trouve Ahtola et ce qu'il sait des filles de Vellamo.
(Kaleva ou Kalervo : géant mythique, père de 12 héros dont Vainämöïnen et Ilmarinen
Ahtola résidence d' Ahto , le Neptune finlandais
Vellamo épouse d'Ahto, divinité secourable et propice )
Le poème situe Ahto , au nord :
A la pointe du Cap brumeux
Au bout de l'île nébuleuse
Au-dessous des vagues profondes
Au-dessus de la vase noire
...
Vainämöïnen part donc pêcher là-bas. Un jour il capture un poisson étrange qui n'est autre que Aïno. Après lui avoir révélé qui elle est , elle se moquue de lui.
Holà pauvre insensé
Vainämöïnen à l'esprit court
Tu n'as pas su garder pour toi
L'humide enfant de Vellano
La meilleure fille d' Ahto
...
Puis elle disparait à jamais.
Longtemps Vainämöïnen cherche Aïno.. Accablé par les remords et le chagrin il invoque sa mère qui lui conseille de se rendre à Pohjola où il trouvera des filles plus belles.
Akseli Gallen-Kallela, La vengeance de Joukahaïnen
Chant 6
Joukahaïnen guette Vainämöïnen et le précipite dans les flots
[...]
Le ferme et vieux Vainämöïnen
Résolut alors de se rendre
Dans le village glacial
Au fond de l'obscur Pohjola.
[...]
Depuis son échec et la dispatrition de sa soeur, Joukahainen a nourri jalousie et rancoeur et un profond désir de vengeance.
[...]
Il construisit un arc rapide
Embellit sa forte arbalète;
Il forgea l'arc avec du fer,
Fondit en cuivre l'arbrier
Le décora de dessins d'or,
Le recouvrit de fin argent :
Mais où va-t-il trouver la corde ?
Qui lui fournira la ficelle?
Les nerfs de l'élan de Hiisi,
Les crins du cheval de Lempo.
[...]
Puis il guette longuement Vainämöïnen
[...]
Je veux tirer contre Vaïno
Abattre le barde éternel
Transpercer son coeur et son foie
Trouer la chair de ses épaules
[...]
Sa mère tente une nouvelle fois de s'opposer , d'ébranler sa décision. Mais Joukahaïnen persiste . Il finit par retrouver le Barde l'attaque , tue son cheval et Vainämöïnen est précipité dans les flots . Il faut ici souligner l'efficacité du poème pour traduire la dimension dramatique de la situation , les hésitations de Joukahainen, puis sa détermination , la longue attente à épier Vainämöïnen, la satisfaction à l'issue du combat et l'aboutissement qui finalement valorise le vaincu par l'expression de la tristesse de la mère dans les quelques vers qui concluent ce long chant:
[...]
La mère dit alors ses mots:
"Malheureux tu t'es mal conduit
En tirant sur Vainämöïnent
En tuant Kalvelainen,
Le héros de Suvantola,
Le plus beau fils de Kaleva !"
(Les vers sont dans la traduction de J-L Perret)