Shakespeare créa sa pièce pendant une crise de pessimisme où il jugeait de l'inutilité des révolutions, et se montrait peu convaincu de l'action politique . On situe généralement la deuxième période de l'œuvre de Shakespeare durant laquelle la pièce est écrite, après la mort d'Elisabeth en 1603. Ce sentiment ébranlait la société depuis l'essoufflement de la prospérité élisabéthaine dans les dernières années de son règne .
Ce serait le motif de la mise en scène de la destruction d'un homme supérieur par une démocratie intelligente plongeant le pays dans la guerre civile ?
César l'homme supérieur ? Shakespeare dans sa scène d'ouverture , nous montre un général affaibli par la vieillesse, ingrat envers ses amis et soucieux de sa seule gloire , en taisant ses exploits passés et la prospérité de Rome . Il faudra attendre Antoine et son éloge funèbre pour rappeler combien il était grand .
Brutus , qui incarne le noble romain mais aussi "l'honnête homme" en général, s'empêtre dans les contradictions de sa loyauté à la République et sa morale individuelle , la rigidité de ses principes où le meurtre est l'issue du dilemme. Les qualités humaines qui font défaut à César, pèsent sur ses choix et obscurcissent son raisonnement au moment de l'action.
Marc- Antoine : Loyal envers César , mais stratège et politique , réaliste c'est par la ruse qu'il confond les conspirateurs et retourne l'opinion du peuple de Rome par un discours démagogique . Peu importe l'issue du désordre qu'il sème pourvu qu'il exerce sa vengeance .
Cassius : rongé par la rancoeur et l'envie, sa haine pour César en fait l'instigateur du complot et son atout c'est l'honorable Brutus qui transformera le crime en un sacrifice libérateur.
Crime pour la sauvegarde de la Paix , de l'indépendance et de la liberté mais des mots qui sonnent creux dans la mesure ou l'acte est fondé sur un soupçon d'ambition César n'a-t-il pas refusé par trois fois la couronne d'empereur qu'Antoine lui offrait aux Lupercales !
Sans aucun doute la scène qui a elle seule assurerait l'immortalité de la pièce est à la fin de l'acte III scène 2, après l'assassinat de César , l'éloge funèbre de Marc-Antoine sur les marches du Capitole:
Acte III Scène 2
Antoine : Nobles Romains...
Tous : Silence , là-bas. Écoutons Antoine.
Antoine : Amis, Romains , concitoyens, prêtez-moi l'oreille. Je viens pour ensevelir César, non pour faire son éloge. Le mal que font les hommes leur survit ; le bien est souvent enterré avec leurs os. Qu'il en soit ainsi pour César ! Le noble Brutus vous a dit que César était ambitieux ; s'il en est ainsi , ce fut une faute grave, et César l'a gravement expiée. Ici, avec la permission de Brutus et des autres, - car Brutus est un homme honorable, et ils sont tous, tous des hommes honorables,- moi je viens parler aux funérailles de César. Il était mon ami, loyal envers moi et juste. Mais Brutus dit qu'il était ambitieux , et Brutus est un homme honorable. César a ramené à Rome , nombre de captifs dont les rançons ont rempli les coffres publics ; a-t-on pris cela chez César pour de l'ambition ? Quand les pauvres ont geint, César a pleuré ; l'ambition devrait être faite de plus rude étoffe. Pourtant Brutus dit que César était un homme ambitieux et Brutus est un homme honorable. Vous avez tous vu qu'aux Lupercales trois fois je lui offris une couronne royale qu'il refusa trois fois ; était-ce là de l'ambition ? Pourtant Brutus dit qu'il était ambitieux et bien sûr, c'est un homme honorable. Je ne parle pas pour contester ce qu'a dit Brutus, mais je suis ici pour dire ce que je sais .Tous, jadis , vous aimiez César, et non sans motif ; quel motif vous empêche donc de le pleurer ? O jugement, tu as fui chez les bêtes brutes, et les hommes ont perdu leur raison. Excusez-moi, mon cœur est là, dans le cercueil, avec César, et il me faut attendre qu'il me soit revenu.
Premier plébéien : Il me semble qu'il y a beaucoup de raison dans ce qu'il dit ....
[..]
Antoine : Hier encore la parole de César pouvait se dresser contre l'univers ; et le voilà gisant, et personne n'est assez pauvre diable pour lui faire une révérence. Ah ! messieurs, si j'étais disposé à pousser vos esprits et vos cœurs à la révolte et à la colère , je ferais tort à Brutus et tort à Cassius qui, vous le savez tous, sont des hommes honorables. Je ne veux pas leur faire tort ; j'aime mieux faire tort à celui qui est mort , faire tort à vous et à moi-même, que de faire tort à des hommes si honorables. Mais voici un parchemin avec le sceau de César ; je l'ai trouvé dans son cabinet ; ce sont ses volontés dernières. Si seulement le peuple entendait ce testament, - pardon, je n'ai pas l'intention de le lire – tous accourraient baiser les blessures de César mort et tremper leurs mouchoirs dans son sang sacré, que dis-je, ils viendraient mendier un cheveu de sa tête en souvenir de lui ; ils le mentionneraient en mourant dans leur testament et le transmettraient, comme un legs précieux , à leur postérité.
Quatrième plébéien : Nous voulons entendre le testament ; lisez-le Marc-Antoine.
...
Antoine : Prenez patience, mes chers amis je ne dois pas le lire ; il ne convient pas que vous sachiez combien César vous aimait. Vous n'êtes pas de bois ni de pierre, mais des hommes ; étant des hommes, si vous entendez le testament de César, ça vous enflammera, ça vous rendra fous. Il n'est pas bon que vous sachiez que vous êtes ses héritiers, car si vous le saviez , qu'en adviendrait-il ?
Quatrième plébéien : Lisez le testament ; nous voulons l'entendre. Antoine, il faut que vous nous lisiez le testament, le testament de César.
Antoine : Voulez-vous patienter ? Voulez-vous attendre un instant ? Je me suis laissé aller trop loin en vous parlant de ce testament. Je crains de faire tort aux hommes honorables dont les poignards ont frappé César ; oui je le crains .
Quatrième plébéien : Eux , des hommes honorables ? Des traitres !
[...]
Antoine : Si vous avez des larmes, préparez-vous à les verser maintenant . Vous connaissez tous ce manteau. Je me rappelle la première fois que César le revêtit ; c'était un soir d'été, dans sa tente, le jour où il mit les Nerviens en déroute. Regardez, c'est ici qu'a pénétré le poignard de Cassius ; Voyez quelle déchirure a fait le haineux Casca ; c'est par ce trou qu'a frappé le bien-aimé Brutus et quand il retira son acier maudit, voyez comme le sang de César l'a suivi, comme s'il se ruait au-dehors pour savoir si c'était bien Brutus qui avait si cruellement frappé. Car Brutus, vous savez, était l'ange de César. O vous dieux, jugez combien César le chérissait ! Cette blessure fut la plus cruelle de toute. Dès que le noble César vit frapper Brutus, l'ingratitude plus que le bras des traîtres le terrassa ; alors se brisa son grand cœur ; et, dans son manteau voilant son visage, au pied même de la statue de Pompée qui ruisselait de sang, le grand César tomba. Ah ! Quelle chute ce fut là , mes chers concitoyens. Alors , vous et moi, et nous tous, nous tombâmes tandis que la sanglante trahison triomphait sur nous. Ah ! Je vous vois pleurer, je vois que vous êtes remués de pitié ; ce sont de saintes larmes. Bonnes âmes , quoi ! Vous pleurez quand vous n'apercevez que le manteau blessé de notre César ! Regardez donc ici, le voici lui-même tout mutilé, comme vous voyez, par des traîtres.
Premier plébéien : O lamentable spectacle !
[...]
Antoine : Mes bons amis, mes chers amis , ce n'est pas moi qui veux vous pousser à un soudain déluge de révolte.
Ceux qui ont commis cette action sont des gens honorables. Quels griefs personnels les ont fait agir , hélas ! je ne le sais pas ; ils sont sages et honorables et sans aucun doute ils vous répondront par des raisons. Je ne viens pas mes amis surprendre vos cœurs ; je ne suis pas un orateur, moi, comme Brutus ; Vous me connaissez tous , je suis un homme simple et franc qui aime mon ami , et c'est ce que savent fort bien ceux qui m'on donné la permission de parler de lui en public. Je n'ai ni l'esprit , ni les mots, ni le talent, nie les gestes, ni la voix, ni l'éloquence qui remuent le sang des gens. Je parle tout bonnement ; je vous dis ce que vous savez vous-mêmes ; je vous montre les blessures de notre cher César, pauvres, pauvres bouches muettes, et je les charge de parler pour moi ; mais si j'étais Brutus, et Brutus Marc-Antoine, alors vous auriez un Antoine qui saurait secouer vos esprits et mettre dans chaque plaie de César une langue capable de soulever les pierres de Rome jusques à la révolte et à l'émeute.
Tous : Révoltons-nous !
[...]
Antoine : Eh ! mes amis Vous ne savez pas ce que vous allez faire . En quoi César a-t-il mérité votre amour ? Hélas ! Vous l'ignorez ; il faut donc que je vous le dise. Vous avez oublié le testament dont je vous ai parlé.
Tous : C'est vrai , le Testament. Restons pour entendre le testament .
...
Antoine : En outre il vous a légué tous ses jardins, ses bosquets réservés et ses vergers plantés de ce côté-ci du Tibre ; il vous les a légués, à vous, et à vos héritiers, pour toujours, comme jardins publics destinés à vos promenades et à vos divertissements. Ah ! C'était un César, celui-là ! Quand reverrons-nous son pareil ?
Premier plébéien : Jamais, Jamais Venez nous allons brûler son corps au lieu consacré, et avec les tisons nous mettrons le feu aux maisons des traîtres. Emportons le corps ..
-Allons chercher du feu .
Arrachons les bancs .
...
Antoine : ( resté seul ) Maintenant, laissons faire . Révolte, te voilà déchaînée ; prends le cours que tu voudras.
Adaptation cinématographique par Joseph L.Mankiewicz en 1953
Antoine Marlon Brando
Brutus :James Mason
Cassius: John Gielgud
Jules César : Lois Calhern