Chapitre XLI
« [ …]
Annada Babu et sa fille revinrent de la conférence à la fin de l’après-midi.
« C’était vraiment très bon », remarqua le vieillard.
Ce Nalinaksha avait paru étonnamment jeune sur l’estrade, et bien qu’il eût atteint la maturité, son expression gardait de la fraîcheur. Avec cela un air de gravité mystique, qui semblait rayonner de son être intérieur. Il avait donné pour titre à sa causerie : « nos gains et nos pertes », et l’idée générale en était que celui qui ne veut rien abandonner ne sait rien acquérir, que ce qui est obtenu sans effort n’est pas vraiment acquis, que seul nous appartient ce que nous avons gagné par le renoncement. Il est certes infortuné celui qui voit ses possessions terrestres lui échapper ; mais en réalité l’âme humaine, dans l’action même de tout lâcher , garde le pouvoir de reprendre, avec intérêt, ce qu’elle a perdu. Si, quand nous souffrons d’avoir perdu quelque chose de très cher, nous savons incliner le front, croiser les mains, et considérer que nous en avons fait don, que nous faisons un don de notre renonciation, de notre chagrin, de nos larmes- alors la chose la plus insignifiante prend un sens secret, le transitoire devient éternel, et ce qui ne nous était qu’ un simple instrument à usage journalier devient un des symboles de notre adoration, pour se trouver désormais éternellement à l’abri, dans ce trésor du temple qui est notre cœur.
Ces paroles avaient fait une impression profonde sur Hemnlini. A sa place favorite, sur le toit, perdue sous le ciel constellé en une de ces méditations silencieuses que son frère lui reprochait tant, elle sentit son cœur plein à déborder, au contraire de la veille, et la terre et le ciel ne lui paraissaient plus vides.
[…]
jeudi, 09 juillet 2020 20:50
Le naufrage
Roman publié en 1921
Extrait
Publié dans
Tagore Rabindranath
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