La Paix ou la Guerre
Dans la nuit du 29 au 30 septembre 1938 , Hitler, Mussolini, Chamberlain et Daladier signaient les accords de Munich pour préserver la paix ; la France et l'Angleterre abandonnaient de ce fait à leur sort les territoires des Sudètes et laissaient l'Allemagne marcher sur la Tchécoslovaquie .
A la demande du journal Paris-soir, Saint Exupéry rédige trois articles pour défendre la position prise par le gouvernement français, regroupés sous le titre « La paix ou la guerre ».
En introduction, Saint Exupéry évoque ce malaise qu'il ressent et partage avec une partie de la population (bien que majoritairement favorable, la prise de position ne fait pas l'unanimité, avec notamment l'opposition des communistes)
« nous avons choisi de sauver la paix. Mais en sauvant la paix , nous avons mutilé des amis. Et sans doute beaucoup parmi nous étaient disposés à risquer leur vie pour les devoirs de l'amitié »
La mission qu'il se donne est donc d'expliquer le choix des états Français et Anglais, en dépit de toutes les contradictions qu'il soulève. En préférant la guerre , « ils auraient alors sacrifié l'homme »et « ils auraient accepté de changer le monde en cendres ».
Plutôt que de dresser les uns contre les autres , (ce qui à mon avis est une démarche admirable !) Saint Exupéry tentera tout au long de ces articles de montrer qu'il est inutile de s'évertuer à combattre l'idée de la guerre, à démontrer son absurdité en faisant appel à la pitié, à la raison ou à l'épouvante "Ce qu'il faut, pour sauver la paix, c'est donner à l'homme un sens à sa vie".
Pour moi, c'est ardent plaidoyer contre la guerre est un discours dicté par les circonstances. On sent,e trouve, à quel point Saint Exupéry est lui-même ébranlé. Les textes ne sont pas d'une grande limpidité (o !) et j'ai du les relire plusieurs fois pour en saisir le véritable sens(si toutefois je l'ai saisi !!).
Leonardo da vinci bataille
Léonard de Vinci La Bataille d'Anghiari
Et je trouve peu convaincante sa conclusion :
Au nombre des choses qui peuvent donner un sens à la vie des hommes, n'y a-t-il pas effectivement ce qui aurait justifié une position opposée à celle du gouvernement français de l'époque, à savoir prendre le parti de s'élever contre la guerre menée en Tchécoslovaquie par Hitler ?
Si je partage sa haine pour la guerre, si j'approuve son aspiration à lutter contre un mode de vie qui avilit l'homme par la manifestation d'un individualisme médiocre, je ne pense pas qu'on puisse tirer gloire de l'abandon d'un peuple à l'oppression, et surtout de conclure un accord de paix sur son dos.
Pourtant quelle que soit la position que servait ce texte, Saint Exupéry nous a encore ici laissé des phrases inoubliables :
pour évoquer ce qui fait qu'un homme consent à l'absurdité de la guerre , pour le convaincre d'y renoncer alors que les arguments ne sont ni la pitié ni la raison :
« Homme de guerre qui es-tu ? »
Tel celui qui s'abandonne à l'absurde, qui accepte la guerre tout en sachant son issue, une destruction de tout ce qui lui est cher : « Noyés dans les contradictions que nous ne savons plus résoudre, découragés par l'incohérence d'évènements que nul langage n'éclaire plus, nous admettions obscurément le drame sanglant qui nous eut imposé, enfin, des devoirs simples ».
Ce n'est pas non plus la pitié que nous éprouvons devant un spectacle d'horreur qui nous convaincra : « voilà quelques milliers d'années que l'on parle des larmes des mères. Il faut bien admettre que ce langage n'empêche point les fils de mourir. »
Ennemis ? :
« Dans la nuit , les voix ennemies d'une tranchée à l'autre s'appellent et se répondent »
Les mêmes peurs, les mêmes angoisses, mais aussi les mêmes raisons d'être là , mêmes justifications , mêmes aspirations , mêmes espoirs !
Pour aboutir à un constat désespérant : « Mais une si haute communion n'exclut pas de mourir ensemble. »
C'est donc dans la médiocrité de notre vie qu'il faut trouver la justification de cet abandon à l'absurde .
« on a cru que pour nous grandir, il suffisait de nous vêtir, de nous nourrir, de répondre à tous nos besoins. Et l'on a peu à peu fondé en nous, le petit bourgeois de Courteline, le politicien de village, le technicien fermé à toute vie intérieure ».
Or l'homme a besoin d'espace où expérimenter ses capacités, se mesurer et aller au-delà de lui-même.
« Nous les fils de l'âge du confort nous ressentons un inexplicable bien être à partager nos dernières vivres dans le désert » (besoin de fraternité).
Son besoin d'exaltation, d'absolu c'est au service de l'humanité tout entière qu'il le doit :
« Que nous fallait-il pour naître à la vie ? nous donner ! »
« ...nous n'avons pas besoin de la guerre pour trouver la chaleur des épaules voisines dans une course vers le même but. La guerre nous trompe. La haine n'ajoute rien à l'exaltation de la course ».
A l 'exemple du savant, du chirurgien, du paysan chacun doit prendre conscience de son rôle dans la longue marche de l'humanité, agir et vivre afin que celle-ci progresse
« Et le simple berger lui-même qui veille sur ses moutons sous les étoiles, s'il prend conscience de son rôle, se découvre plus qu'un berger, il est une sentinelle. Et chaque sentinelle est responsable de tout l'empire. »
On peut je trouve rétablir notre harmonie avec Saint Exupéry en considérant que c'est en temps de paix qu'il faut cultiver l'horreur de la guerre, et nous laisser convaincre par son discours. D'ailleurs, ce texte repris dans "Terre des Hommes" en grande partie , hors du contexte de cet écrit de circonstances, résonne tout autrement.