Le film commence par le commentaire d'un journaliste ayant ou "qui aurait", (j'ignore si c'est une fiction totale) exercé pendant la guerre en Yougoslavie ; il dit qu'il y deux sortes d'hommes ceux qui ont connu la guerre, ceux qui l'ont vécue et les autres.
Je ne sais pas pourquoi j'ai été particulièrement sensible à ce film ; ce n'est pas mon premier film sur la guerre ! mais peut-être est-ce parce qu'il nous fait vivre cet événement par les yeux de journalistes, c'est à dire ceux de témoins directs, neutres, non engagés pour une cause ou une autre, presque extérieurs aux combats bien que non épargnés par les souffrances. L'objet n'est pas l'attitude de l'un ou l'autre des belligérants
On nous montre l'horreur, aussi bien les massacres entre militaires, que la détresse et le martyre des populations civiles, la destruction !Tout ce qui brise, brûle, explose, écrase. Le regard est celui non d'une victime ou d'un bourreau ; c'est celui d'un témoin : l'homme montre à l'homme ce que l'homme commet. Ce n'est pas un reproche, ni une prière mais un constat solidaire: voilà notre œuvre !
Le jugement qu'on se sent dans l'obligation de prononcer est dérisoire :la guerre est une chose horrible, nous détestons la guerre, mais au même instant, loin de nous, d'autres journalistes photographient des scènes identiques, d'autres vivent ces horreurs, mettent eux-mêmes leur vie en danger pour apporter leur témoignage, démontrant l'impuissance de nos belles intentions.
Alors ne faut-il pas nous incliner devant cet horrible constat que la guerre est un fléau inéluctable, que nous ne parviendrons jamais à éradiquer et que notre plus grande chance est de n'avoir jamais eu à la subir , d'être au nombre des privilégiés qui ne l'ont pas côtoyée.
Je me dis moi aussi que nous devrions effectivement être différents de ceux qui l'ont vécue ; de telles épreuves doivent marquer pour toujours celui qui les connaît, mais en quoi sommes nous différents ? sommes nous meilleurs ou pires ?
Préservés de cette épreuve il nous est impossible de percevoir pleinement, jusqu'où peut aller notre barbarie, mais notre vision du monde en est-elle vraiment autre ? Les écrans, le papier nous révèlent la vérité mais nous ne la ressentons pas.
Faut-il alors, craindre au contraire, que cette exemption soit de nature à endormir notre vigilance et propre à garantir que dans un avenir plus ou moins proche nous serons prêts à accepter, même pour nous, ce que nous sommes incapables d'éviter à d'autres aujourd'hui, malgré les témoignages édifiants ?
Quant à ceux qui ont vécu ces atrocités peut-on penser qu'ils répugneront définitivement à cette barbarie ou bien la haine devant tant d'horreur n'appelle-t-elle pas à la vengeance ?
Il est sage d'appeler les belligérants à faire la paix, à se tendre la main, mais le pardon est-t-il toujours possible ?
Le travail des journalistes des reporters est admirable mais ne faudrait-il pas que chaque cliché soit assorti de commentaires « humanistes » ?
Les images sont éloquentes, elles atteignent notre sensibilité mais si peu interpellent notre raison ou notre responsabilité!
Demain j'aurai probablement oublié l'impact profond d'Harrisson's flowers et palabrerai encore pour dire en toute quiétude, bien à l'abri de mon univers feutré que la guerre est un fléau ! mais que faire pour qu'elle ne se reproduise plus ?
Alors pour en revenir au Seigneur des Anneaux et à Tolkien dont le soi-disant militarisme continue de me troubler, on peut effectivement se demander si notre enthousiasme est légitime pour un récit présentant autant d'aspects d'une épopée guerrière ?
Gardant comme postulat que Tolkien n'aimait pas la guerre, lui qui l'avait vécue et qui s'est cependant plu à en peindre les tableaux où le noir de la mêlée exalte la couleur des héros, je me demande si cette représentation idéalisée n'est pas pour l'écrivain comme pour son lecteur, le moyen d'exorciser l'horreur et de lutter contre cette vision cauchemardesque de l'homme qui persiste contre toute raison à reproduire ce qu'il redoute le plus.
On s'interroge souvent sur ce qui peut justifier notre enthousiasme pour l'héroïsme, pour les faits d'armes, pour les grandes actions sur les champs de bataille et combien de fois ne sommes nous pas tentés de jeter un voile pudibond sur notre admiration ou de tempérer notre émotion à l'image d'un assaut désespéré, une bravoure inutile !
Serions-nous plus pacifistes que Tolkien ? plus humains ? plus miséricordieux ? plus accessibles à la Pitié ?
Sa qualité de poète ou d'écrivain lui donnerait-il le droit de sublimer ce qui nous répugne et trahissons-nous notre idéal en nous associant à sa vision sélective ?
Je pense plutôt qu'il faut y voir la manifestation d'une sorte d'optimisme, le moyen de ne pas nous renier et sombrer dans un pessimisme stérile.
Extraire dans cette barbarie quelques étincelles d'humanité, en illuminer la noirceur, ce n'est pas glorifier la guerre mais consentir à l'homme d'autres possibles, persister à croire que nous pouvons surmonter nos penchants détestables .