Alida Valli : la comtesse Serpieri
Farley Granger: Franz Mahler
Musique : Extraits de la 7ème symphonie de Bruckner et de l'opéra "Le Trouvère" de Verdi
D'après une nouvelle de Camille Boïto
Un des chefs-d'oeuvres de Visconti . La première rencontre des deux principaux protagonistes Franz et Livia , se passe dans les ruelles de Venise où ils déambulent toute une nuit durant laquelle le destin de Livia va progressivement basculer. Quand ils se croisent , ce soir là , elle est comtesse Serpieri, une bourgeoise acquise à la cause de l'Italie et militante contre l'occupant autrichien (c'est l'époque de Garibaldi et de l'unification italienne en guerre contre l'Autriche ) Au petit matin , elle n'est plus qu'amoureuse. Cette femme va tout sacrifier à ce jeune amant, un soldat autrichien qui abuse d'elle pour déserter et échapper aux combats. Tout y passe , honneur, famille, situation sociale et surtout cause politique qu'elle trahit lamentablement. Totalement sous l'emprise de cet amour elle découvre brutalement la manipulation de Franz . Humiliée, ayant perdu jusqu'au respect d'elle-même, elle dénonce son amant à ses supérieurs et sombre dans la folie , tandis qu'il est exécuté .
L'histoire peut paraitre assez banale , mais il faut compter avec le génie de Visconti et le talent d'Alida Valli, Farley Granger est aussi excellent . Venise qui s'éveille au petit matin sur le quai du Rialto est inoubliable , la trahison de cette femme , ses luttes contre elle-même , l'évolution de ses sentiments , sa chute et la lâcheté de Franz, à moitié coupable finalement , toute cette tension pour nous amener à ce dénouement si tragique !!
Personnellement , ce film me fascine parce qu'il crée un conflit entre deux regards contradictoires dépassant la seule complexité des caractères et apportant la confusion dans nos propres sentiments.
Entrainés par la passion de Livia qui en est le narrateur , nous acceptons les confidences d'une victime. Sa déraison nous est perceptible du début à la fin. On pressent sa faiblesse dont l'issue est inéluctable mais on ressent aussi la passion qui l'aveugle. Franz nous est odieux et c'est sa lâcheté, sa fourberie que nous subissons et qui nous révulse.
Mais quand la projection prend fin , que les lumières se rallument il en va tout autrement et l'on est confus de cette complicité avec cette passion dévorante qui détruit Franz tout autant que Livia .
Le cynisme de l'officier autrichien aurait dû susciter en nous moins d'antipathie Son réquisitoire contre la guerre trouve en nous des échos justificateurs ; sa vision d'une aristocratie décadente et opportuniste ,sa réaction aux valeurs moribondes , c'est le regard lucide sur un monde qui s'éteint et le pressentiment d'un avenir où il n'a pas sa place.
L'idée de Visconti était : « de dresser un tableau d'ensemble de l'histoire italienne sur lequel se détacherait l'aventure de la comtesse Serpieri, mais celle-ci au fond , n'était que la représentante d'une certaine classe . Ce qui m'intéressait , c'était de raconter l'histoire d'une guerre mal faite , faite par une classe seule et qui fut un désastre ». (extrait d'une interview de Visconti )
Senso fut profondément incompris à sa sortie. On l'interpréta comme une rupture avec le néo-réalisme sans comprendre que pour Visconti « le néo-réalisme » est avant tout une question de contenu » (cahiers du cinéma n°93) Le fil prolonge en fait la théâtralité déjà marquée antérieurement. Senso est un mélodrame où la réalité est stylisée à la manière d'un opéra. Plus qu'une adaptation , le film est une réécriture de la nouvelle de Boïto puisque Visconti y introduit l'Histoire. La passion de la comtesse Serpieri se déroule au moment , 1866 , où l'Italie du Risorgimento affronte l' Autriche qui occupe encore la Vénitie. Le Remigio du roman devient l'officier autrichien Franz Mahler et la comtesse ne lui donne pas ses bijoux personnels mais le « trésor de guerre » des patriotes italiens . Avec Senso , Visconti maitrise à la perfection , l'imbrication de l'histoire individuelle et de l'Histoire collective , parti pris qu'il utilisera par la suite.
Le film n'est pas une fresque documentaire , c'est la peinture d'une passion tragique dans un contexte qui lui donne une signification universelle.
Quoique mutilée par la censure qui imposa la suppression de certaines séquences sur la défaite italienne de Custozza, Senso reste un des chefs-d-œuvres de Luchino Visconti
(extrait de Luchino Visconti cinéaste de Alain Sanzio et Paul-louis Thirard éditions Persona)
-
Un extrait du film
- Adagio de la 7ème symphonie de Bruckner