samedi, 25 octobre 2014 00:00

Fernand Braudel et Venise

Évaluer cet élément
(0 Votes)

Venise , elle aussi est une île, un monde autre, pour grandes ou assez grandes personnes qui auraient trop grandi, mais sauraient encore rêver. Une île certes pas inaccessible, mais l'atteint-on jamais ?

On l'a bien trop imaginée avant de la connaître pour la voir telle qu'elle est. Nous l'aimons au travers de nous mêmes. Sortilège, illusion, piège, glaces déformantes, voilà ce qu'elle est, ce que nous lui demandons d'être. « Venise comme je la voulais » s'exclame Musset en y arrivant pour la première fois une nuit d'hiver, en 1833.

Tandis que Jean Paul Sartre, de canal en canal, d'îlot en îlot, « cherche éperdument la Venise secrète » , « la vraie Venise » qu'il trouve « toujours ailleurs », « le mystère tranquille » qu'il voit sans cesse devant lui, mais loin de lui, « sur l'autre bord » , inaccessible. C'est son irréalité qui crée les enchantements et les mythes et les charmes de Venise. Ce monde à moitié vu , à moitié rêvé se referme sur nous comme de lui-même. Et c'est ce que nous attendions. Chacun de nous à sa façon d'aimer Venise, qui n'est pas celle du voisin, et de s'y enfermer à sa convenance, d'y trouver ce qu'il veut, la joie de vivre, la décrépitude de la mort, un répit, un alibi, une extravagance ou le simple entre deux d'une vie différente.

L'eau divine et démoniaque

Une ville à la fois irréelle et réelle. Peut-être parce qu'elle semble naître du néant , entre l'eau et le ciel, parce qu'elle n'est pas l'assemblage raisonnable de terre, de lumière, d'eau , de verdure que la géographie offre régulièrement à travers toutes les villes du vaste monde . La terre est ici tellement discrète, si sûrement dérobée que seuls comptent le miroir de l'eau et le miroir du ciel. La terre existe bien sûr, mais pareille à ces bancs de sable et de boue qui sur la lagune, émergent à peine de l'eau salée. Pour permettre à cette terre de porter Venise, il a fallu la recréer, la consolider avec des pierres, plus encore avec des milliers ou des millions de troncs d'arbres, de chênes enfoncées à la verticale. Venise surplombe une forêt engloutie

[...]
Fernand Braudel, La méditerranée

Lu 5792 fois Dernière modification le samedi, 25 octobre 2014 20:21

Laissez un commentaire

Assurez-vous d'indiquer les informations obligatoires (*).
Le code HTML n'est pas autorisé.