il a résisté à l'entraînement des forces de conviction poétique. Pour lui, la poésie doit être une rupture de toutes nos habitudes, et d'abord de nos habitudes poétiques. Il en résulte un mystère qu'on étudie mal si on le juge du point de vue des idées : on dit alors que Mallarmé est obscur. Un thème mallarméen n'est pas un mystère de l'idée ; c'est un miracle du mouvement. Il faut que le lecteur se prépare dynamiquement pour en recevoir la révélation active, pour y gagner une nouvelle expérience de la plus grande des mobilités vivantes : la mobilité imaginaire.
Le jeu des antithèses chez Victor Hugo explicite un manichéisme moral assez simple. Chez Villiers de L'Isle Adam, la dialectique des contraires, que le poète croit hégélienne, règne sur des idées, sur des formes. Chez Mallarmé, la dialectique règne sur des mouvements; elle s'anime au centre même des mouvements inspirés. Dans une oeuvre mallarméenne, le mouvement poétique, toujours, reflue sur lui-même. Pas d'élan sans retenue, pas de retenue sans aspiration. Une lecture superficielle - une lecture inerte- donne à croire que le poète hésite : au contraire, il vibre. Mais non point de cette vibration désordonnée qui fait écho à toutes les joies de la terre, non point de cette vibration massive que soulèvent l'émotion morale ou la passion. Il veut trouver un rythme à la fois plus profond et plus libre, une vibration ontologique. En l'âme du poète, c'est l'être même qui vient croître et diminuer, s'ouvrir et se fermer, descendre et monter -descendre profondément pour éprouver, doucement, un élan savamment ingénu qui ne doit rien aux forces de la terre.
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(Gaston Bachelard : "Le droit de rêver")