Illustrations de Gustave Doré
Traduction par Henri Parisot
(extrait)
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Assis sur une pierre, l'Invité des Noces
Ne peut faire autrement , certes, que d'écouter ;
Et voici ce que dit tout d'abord ce vieil homme,
Le Matelot à l'œil brillant :
« Le navire , sous les vivats, sortit du port :
D'un cœur allègre nous laissâmes
Filer derrière nous, l'église, la colline,
Et jusqu'au faite enfin de la tour du fanal,
Le soleil, au début, se levait sur bâbord ;
Du sein de l'onde surgissant !
Et il resplendissait : puis le soir, sur tribord,
Il s'abîmait dans l'océan.
De plus en plus haut il s'élevait chaque jour,
Jusqu'à ce qu'il planât, à midi, sur le mât... »
A ces mots, l'Invité des Noces bat sa coulpe,
Ayant entendu le son grave du basson.
La jeune mariée vient d'entrer dans la salle ;
A la rose elle a prit l'incarnat de son teint ;
En balançant la tête, marchent devant elle,
Les joyeux musiciens.
Il a battu sa coulpe, l'Invité des Noces,
Sans avoir d'autres choix, pourtant que d'écouter ;
Et voilà ce que dit ensuite ce vieil homme,
Le matelot à l'œil brillant.
« Alors le souffle de la tempête surgit,
Et il se révéla tyrannique et puissant ;
Ce souffle nous frappa de ses ailes battantes
Et il nous pourchassa jusque loin vers le Sud.
Les mâts penchés, la proue s'engageant sous les lames,
Tel celui, poursuivi de coups et de huées,
Et qui, droit devant lui, fonce, tête baissée,
Ainsi dérivait le navire, la tempête
Mugissait, vers le sud toujours nous fuyions.
Bientôt vinrent ensemble et la brume et la neige ;
Il fit un froid prodigieux ;
Et, plus haut que le mât, autour de nous flottèrent
De monstrueux glaçons, verts comme l'émeraude.
Les falaises de neige, à travers les rafales,
Sur les bords renvoyaient une clarté sinistre ;
Point ne rencontrions forme humaine ou de bête, --
La glace, de tous côtés nous entourait.
La glace était ici, la glace était là-bas,
La glace s'étendait, livide, à l'infini ;
Elle craquait, criait, et grondait et hurlait, --
Tels les bruits qu'on entend lorsqu'on s'évanouit !
Au bout d'un certain temps parut un Albatros ;
Vers nous l'oiseau venait à travers le brouillard ;
Et comme si c'eût été une âme chrétienne,
Au nom du Seigneur Dieu nous le hélâmes tous .
Il mangea des mets qu'il n'avait jamais mangés,
Et autour du vaisseau rôda son vol lunaire :
La banquise s'ouvrit dans un bruit de tonnerre ;
Le sage timonier nous lança droit dedans !
Car un bon vent du sud de l'arrière soufflait ;
L'Albatros nous suivit,
Et, dès lors, chaque jour, pour manger ou par jeu,
Il venait au premier appel du matelot !
Dans la brume ou la nue, sur le mât et sur les
Haubans, durant neuf soirs, il se percha ; tandis que
Tout au long des nuits, perçant la blanche fumée,
Froidement scintillait le blanc clair de Lune. »
« Que Dieu te sauve, vieux Marin,
De ces démons qui de la sorte te tourmentent !
Mais toi, pourquoi me regarder ainsi ? » --D'un coup
D'arbalète, notre Albatros, je l'abattis.
[...]
S.T. Coleridge