Le Rêve
Je savais , j'étais dans ton rêve
Et je n'ai pu m'endormir.
Une lueur bleue et terne
m'indiquait le chemin à suivre.
Tu voyais le parc royal,
Le blanc palais orné d'or,
Le contour des grilles noires,
Les marches de pierre sonores..
Tu allais cherchant ton chemin,
tu pensais :'Vite ! que c'est lent !
La trouver avant le matin,
Ne pas m'éveiller avant !"
Le gardien au portail béant
Te héla : " Où allez-vous ?"
La glace cédait en craquant,
L'eau noire était en -dessous.
"C'est un lac , c'est un lac " pensais-tu ,
"Il y a une île plus loin.."
Et soudain une lueur têtue
A surgi sur ton chemin.
Dans le petit jour dur et froid
Tu as gémi en t'éveillant
Et pour la première fois
Tu as dit mon nom à Haute voix.
(Mars 1915 -Tsarskoïe Selo)
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Le soir est clair , large , brillant
Et la fraîcheur d'avril est tendre.
Tu es en retard de dix ans,
Mais tu es là -- je suis contente.
Assieds-toi là auprès de moi,
Regarde de tes yeux riants,
Regarde ce cahier bleu-roi :
J'y ai mis mes poèmes d'enfant.
Pardonne-moi : j'ai vécu grise
Au soleil -- et pourtant sans joie.
Surtout , pardonne la méprise
D'avoir pris tant d'autres pour toi .
Printemps 1915 Tsarskoïe Selo (p71)
Les mains se crispent sous le châle vert...
_ Pourquoi es-tu si pâle soudain ?
--Parce que d'un désespoir amer
Je l'ai abreuvé sans fin .
Comment l'oublierai-je ? Chancelant
Il est parti le rictus amer.
Je suis descendue en courant,
J'ai couru à la porte cochère
Hors d' haleine, j'ai crié : "Oublie
Mes sotises. Je meurs si tu pars !"
Calme et effrayant , il a souri
Et m'a dit : " Prends garde il y a du vent".
1911, Kiev
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