Voici une oeuvre très en vogue ! Je n'ai pas la dernière interprétation, mais j'ai ressorti mon enregistrement de 1994, un chef d'oeuvre de musique sérielle , dans le registre de la méditation et du sacré.
Son genre lui donne ce caractère envoûtant, par ses phrases mélodiques répétées à l'infini , et la persistance d'une émotion soutenue par la voix de la Soprano. Des développements quasi linéaires variant uniquement dans le crescendo, rien pour rompre l'harmonie comme si chaque thème avait atteint une plénitude insurpassable.
Le même procédé s'applique aux Trois pièces dans le style Ancien inspirées de thèmes folkloriques polonais .
Indéniablement cette musique s'accorde au tragique comme semblent en convenir les auteurs de la jaquette du disque de 1994 chez Naxos qui lui ont associé "Le Cri" de Munch Edvard (1893)
(Zofia Kilanovcz, Soprano, PolishNational Radio Symphony Orchestra dir. Antoni Vit Enreg. Naxos)
Troisième Symphonie Op. 36 (1976) "Chants de deuil", Trois Pièces dans le Style Ancien
Analyse de Armin Firouzmande
"Tout comme ses contemporains Krzystof Penderecki (1933) et Arvo Part (1935), la décennie 1950-60 fut pour Henryk Górecki (1933), une période dominée par une écriture musicale sérielle, illustrée par les Chants de la joie et du rythme (1956) pour deux pianos et orchestre, et les Monologues (1960) pour soprano et trois groupes d'instruments.
D'un point de vue comparatif, même si la décennie suivante proroge cette approche sérielle de l'écriture, elle symbolise cependant une orientation esthétique générale différente. Les signes les plus probants, notamment dans le domaine de la musique religieuse, en sont les références au contrepoint baroque et à certaines séquences mélodiques propres au chant grégorien.
La première symphonie 1959 de Górecki pour cordes, clavecin et percussion, bien qu'encore basée sur des structures sérielles est avant tout un travail de traitement de plans sonores et de la dynamique musicale. Ces recherches se poursuivent dans la deuxième symphonie Copernicienne (1972) pour solistes, choeur et orchestre, dont les textes sont tirés des Psaumes et des écrits de l'astronome polonais Copernic, et aboutissent pleinement maîtrisées dans la troisième symphonie des Chants de Deuil (1976) pour soprano et orchestre.
La nouvelle orientation esthétique des années soixante s'est simultanément traduite par un engagement et une prise de position sociale des artistes. Si Penderecki et Górecki se réfèrent tous deux à la religion chrétienne, leur engagement respectif admet quelques points de divergence. Le langage dramatique de Penderecki, dans Thrène (1961) pour 52 instruments à cordes à la mémoire des victimes d'Hiroshima et surtout dans la Passion selon St. Luc (1963-1965), se met au service de l'Universel tandis que Góôrecki, dès les Trois Pièces Dans le Style Ancien (1963) pour orchestre à cordes et la deuxième symphonie, montre une création artistique tournée vers l'expression nationaliste. Ainsi, Gôrecki se situe dans la filiation du Stabat Mater de Karol Szymanovski (1882-1937)- oeuvre avec laquelle la troisième symphonie de Gôrecki, bien qu'extérieure à une forme liturgique, partage l'atmosphère contemplative et les références à une tradition religieuse polonaise; pour ce dernier "la musique sacrée polonaise devrait s'adresser directement au sentiment, en s'appuyant volontairement sur la vulgarisation du texte" (réflexion sur la musique religieuse-notes en marge du Stabat Mater).
Basées sur une synthèse de divers éléments du langage moderne et ceux du folklore musical, les Trois Pièces dans le Style Ancien s'acheminent vers les expériences identiques menées plus tard dans la troisième symphonie.
Le premier mouvement de la troisième symphonie de Gôrecki est un chant de lamentation tiré des "Chants de Lysagorsf (1 Sème siècle) du monastère de la Sainte Croix. Le deuxième mouvement est le début de la prière polonaise "Zdrowas Marie/' à la Sainte Vierge, prière inscrite par une détenue sur le mur d'une cellule du camp de concentration de Zakopane. Le troisième et dernier mouvement est un chant populaire dans le dialecte de la région d'Opole.
Vue de l'ensemble, la construction architectonique de cette symphonie dévoile les interférences sous-jacente entre l'historicité, le binôme temporel/intemporel et la durée proprement musicale: dans cette optique, les mouvements extrêmes symbolisent l'intemporel, la continuité d'une tradition remontant respectivement aux sources du sacré et du profane. Le mouvement central est temporel, puisque lié à un événement historique précis (contexte de la Seconde Guerre Mondiale et des camps de concentration). Toutefois, le traitement de la durée musicale contrebalance la découpe tripartite de l'oeuvre car, face au bloc du premier mouvement avec sa lente progression dans le Temps, les deuxième et troisième mouvements apparaissent complémentaires l'un de l'autre, ajustant ainsi l'équilibre de l'ensemble de la symphonie. Ce fait est d'autant plus important que le processus d'extension du discours musical du deuxième mouvement aboutit à une conclusion lumineuse (tonalité majeure) à l'extrême fin du troisième mouvement.
Ce procédé déjà utilisé par Arthur Honegger (1892-1955) dans le finale de sa troisième symphonie Liturgique (1945) semble être le symbole d'une anagogie spirituelle: moment de réconciliation, la symphonie des Chants de Deuil à l'instar de la souffrance de Notre-dame des sept douleurs au pied du Christ crucifié transcende la douleur de la mère (deuxième mouvement) en un éclat serein et lumineux (troisième mouvement).
Ainsi, après la déchirure, c'est l'espoir d'une paix harmonieuse parmi les hommes comme le formule le poète estonien Henryk Visnapuu (1890-1951) pour qu'enfin, "ceux qui restent puissent vivre libres".
© 1994 Armin Firouzmande
- Henryk Mikołaj Górecki - Symphony No. 3, Op. 36 (1976) Final movement
- Symphonie n° 2 opus 31 , second mouvement
https://youtu.be/Z9SNZCWaViA
- Trois piéces dans le style ancien
https://youtu.be/Wb73v05adG4
- Quasi una Fantasia, String Quartet no. 2, Op. 64 (Henryk Gorecki) :