Que m’importe la ville
Que m’importe la ville où je me trouve ici ?
J’ai pris le train pour fuir mon cruel vieux souci,
Je suis sur un balcon, la nuit et c’est décembre.
Il fait derrière moi noir et doux dans ma chambre
Sous mes pieds roule un fleuve immense dont les flots
Se bousculent dans l’ombre avec de grands sanglots.
Je vois des toits, des quais, des ponts couverts de neige.
Une bise assidue et sifflante m’assiège,
Mais je souffre d’un feu si brûlant dans le cœur,
Que j’ouvre à l’air glacé ma bouche avec bonheur.
Tout ce que l’âpre amour qui me domine entraîne
De désir de doute, et d’espoir et de haine
Bouillonne en moi sans fin comme un ferment impur ;
Et, traversant le fond de mon esprit obscur,
La vie encore à vivre et les choses passées
Y forment un affreux désordre de pensées,
Tandis que, suspendu sur le fleuve au grand bruit,
Je m’enivre des vents qui viennent de la nuit .
( L’Homme intérieur.)