[…]De toute manière, une quadruple tradition nous livre le souvenir d’une longue, violente et indécise bataille entre Ases et Vanes, dont l’importance est capitale. La Völuspa , strophes15 et suivantes (21 à 24 sur wikipedia), laisserait entendre que l’enjeu était Gullveig dont le nom signifie « ivresse d’or »,qui serait une sorcière que se disputent les Vanes et les Ases, lesquels essaient à trois reprises et sans résultat de la brûler. La Inglinga Saga, nous l’avons vu propose une explication géographique et historique qui vaut pour son ingéniosité (p.155). Les Skaldskaparmal l’évoquent également très succinctement (p.116). Enfin , Saxo Grammaticus présente un récit qui n’est qu’un amalgame des données précédentes.
L’opinion reçue a longtemps été qu’un substrat historique justifiait cet épisode, dont l’importance est capitale. On a pensé à une série de vagues de migration venant de la mer noire à la conquête du Nord . Les Vanes auraient investi le monde nordique des Ases tout en composant avec eux. La thèse brillante de Georges Dumézil (Les Dieux des germains) remonte aux sources indo-européennes(sinon à celles de toute religion) : Toute religion divinise les trois grandes fonctions sociales, prêtre, guerrier et paysan ; mais si les deux premières peuvent naturellement faire bon ménage, il y a d’évidentes incompatibilités entre elles et la troisième. Il est donc inévitable qu’un conflit éclate un jour, indécis comme la vie même , puisque chacune de ces fonctions est indispensable à la vie même en société.
Sans entrer dans le détail de la démonstration, il est bien sûr, étude comparée des religions à l’appui, que toute l’histoire scientifique ou mythique, est une série de compromis entre le laboureur et le pasteur d’une part, et d’autre part le rêitre et le prêtre. Pourtant cette explication rend mal compte des ambiguïtés qui subsistent autour de certains dieux, (Thorr ou Odinn par exemple), dont les fonctions ne sont pas assez nettement délimitées pour qu’on les intègre sans ambages à l’une des trois catégories. Et d’un autre côté, la présence fréquente, parmi les inscriptions rupestres scandinaves remontant à la très haute antiquité, de scènes plus ou moins orgiaques, de sacrifices rituels ou de représentations dramatiques évoquant la mort de Baldr, le sacre du printemps, etc… , nous inciterait à penser que les Vanes appartiendraient à une religion primitive, agricole, sensuelle, recouverte par le culte des ases, plus récent, plus viril, plus guerrier et spirituel. En tout état de cause, l’image des dieux que nous connaissons aujourd’hui est impure à souhait et ne peut se regarder que comme ces photographies imprécises où toute une série de vues différentes auraient impressionné la même pellicule. Refaire la géologie de ces strates successives est une tâche ardue .[…]
La guerre des Ases et des Vanes selon l’histoire mythique des rois de Norvège l’Inglinga Saga : (Chapitre 4)
Odinn marcha avec une armée contre les Vanes, mais ils firent bonne contenance et défendirent leur pays, et les uns et les autres remportèrent la victoire à tour de rôle. Chacun pilla le pays de l’autre et y fit des ravages. Mais quand ils s’en furent fatigués de part et d’autre, ils fixèrent entre eux une réunion de conciliation, firent la paix et se remirent des otages. Les Vanes remirent le meilleur de leurs hommes, Njördj le Riche et son fils Freyr, et les Ases , en échange, celui qui s’appelait Hoenir, déclarant qu’il avait tout ce qu’il fallait pour faire un chef. C’était un homme de grande taille et très beau. Avec lui les Ases envoyèrent celui qui s’appelait Mimir, le plus sage des hommes, et les Vanes remirent en échange celui qui était le plus avisé de leur troupe. Il s’appelait Kvasir. Quand Hoenir arriva dans le Vanaheimr, il fut aussitôt fait chef. Mimir le conseillait en toutes choses. Mais quand Hoenir se trouvait dans les assemblées ou les réunions et que Mimir n’était pas à proximité, et qu’on lui soumettait quelque affaire difficile, il répondait toujours la même chose : « Que d’autres décident », disait-il. Alors les Vanes soupçonnèrent que les Ases avaient dû les tromper dans l’échange. Ils prirent Mimir , le décapitèrent et envoyèrent sa tête aux Ases. Odinn prit la tête, l’oignit d’herbes qui ne pouvaient pourrir, l’enchanta et l’ensorcela de telle façon qu’elle se mit à lui parler et à lui dire beaucoup de choses secrètes. Odinn institua Njördr et Freyr prêtres sacrificateurs et ils furent Diar avec les Ases. Il y avait une fille de Njördr, Freyja. Elle fut prêtresse sacrificatrice. Elle enseigna la première aux Ases le Seidr, comme les Vanes en avaient la coutume. Quand Njördr était chez les Vanes il avait épousé sa sœur, car telles étaient les lois dans ce pays –là. Leurs enfants étaient Freyr et Freyja . Mais il était interdit aux Ases de se marier entre parents si proches.