« O esprit aimable, toi qui habites ces lieux, je te rends grâces d’environner toujours mon silence de ta paix ;
je te rends grâces pour ces heures que j’ai passées ici, occupé de mes souvenirs ; je te rends grâces pour cette cachette que je nomme mienne ! Alors que grandit le calme comme grandissent l’ombre et le silence : formule magique d’exorcisme ! Quoi de plus enivrant que le calme ; car, si rapidement que le buveur porte la coupe à ses lèvres, son ivresse ne croît pas aussi rapidement que celle du calme qui croît à chaque seconde ».
Søren Kierkegaard, Étapes sur le chemin de la vie
On s’est beaucoup interrogé sur le silence de Sibélius et cette interruption brutale de la composition musicale , 30 ans avant sa mort .
Il était alors en 1926 parvenu au faîte de sa gloire, reconnu mondialement après le succès de son poème symphonique de Tapiola . Renonçant ou dans l’incapacité de terminer sa 8ème symphonie que le monde musical lui réclamait , il a détruit par le feu dans un geste dramatique sa dernière partition et s’est muré dans le silence.
Plusieurs causes ont été avancées, toutes avec prudence, et aucune n’a totalement convaincu jusqu’à présent :
- Santé dégradée par les privations et les excès d’alcool et de tabac.
- Dépression liée aux évènements mondiaux :1ère et seconde guerres mondiales, bouleversements liés la révolution russe de 1917 qui a donné son indépendance à la Finlande, puis montée du nazisme . Eminemment nationaliste , amoureux de sa culture comme en témoigne l’inspiration de ses œuvres , il devait se sentir particulièrement impliqué dans les conflits qui ont affecté et tiraillé la Finlande dans des directions contraires.
- Repli devant les nouveaux courants artistiques auxquels il n’adhérait pas (Shöneberg ,Stravinsky, Les Six ..) et qui remettaient en cause ses convictions de symphonistes , (sans oublier qu’il avait déjà été éconduit par Brahms).
- Crainte de ne pouvoir dépasser ses anciens succès.
- Fascination et refuge dans la contemplation de la nature.
Cette dernière hypothèse a été émise par Francis Brayer mais il est probable qu’il faut considérer l’‘ensemble de ces causes , frappant l’ hypersensibilité du compositeur pour expliquer le mutisme de Sibélius qui après 1926 n’a plus écrit jusqu’à sa mort une seule note nouvelle . Sans abandonner le monde musical, il se consacra dès lors à la publication et à la diffusion de ses œuvres , à des récritures et à ses voyages à travers le monde.
Un excellent article sur le sujet , analyse d'un essai de Francis Brayer par Sophie Stevance : Le pluralisme interprétatif du silence compositionnel de Jean Sibelius : l’exemple de Francis Bayer (Samedis d’Entretemps, Ircam, 23 octobre 2004)