mardi, 21 octobre 2014 00:00

Elsa

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Recueil  de   poèmes à Elsa  Triolet  

1958,1959

 

Mon Amour  ne dis rien laisse  tomber   ces  deux  mots-là dans le  silence
Comme une pierre  longtemps polie entre les paumes de  mes mains
Une pierre  prompte et pesante une pierre
Profonde par sa chute  à  travers notre vie
Ce long  cheminement qu'elle  fait  à  ne rien  rencontrer  que l'  abîme
Cet  interminable  chemin  sans bruit  que  la durée
Et  de n'entendre aucune eau  lointaine il  naît  une espèce d'effroi
Aucune   surface  frappée aucun rebondissement  de parois
Rien  l'univers n'est plus qu'attendre et j'ai  pris ta main
Nul écho cela  tombe  et j'ai beau  tendre l'oreille
Rien  pas  même  un soupir une pâme   de son
plus elle  tombe et  plus elle traverse les  ténèbres
Plus  le  vertige  croît plus rapide  est  sa  nuit
Rien que  le poids  précipité l'imperceptible
Chant  perdu
La merveille  échappée emportée et  heurtée
Déjà peut-être Ou non Non  pas encore amour
Rien  que l'insupportable délai  sans  mesure
A l'écrasement sûr atrocement  remis
Une  pierre  ou  un cœur une chose parfaite
Une chose  achevée  et  vivante pourtant
Et plus cela  s'éloigne  et moins c'est  une pierre
Ô puits  inverse où  la  proie après  l'ombre  pique  vers  l'oiseau
Une  pierre pourtant comme  toutes  les  pierres
Au bout  du  compte qui  se lasse  de  tout  et  finit   par n'être  qu'un tombeau

 Écoute il  semble à  la margelle
Remonter  non  le  cri  le heurt   ou  la brisure
Mais vague  et  tournoyante incertaine  apeurée
Une  lueur  des fonds pâle  et  pure
Pareille  aux apparitions dans  les récits d'enfance
Une couleur de nous  mêmes peut-être pour la dernière  fois

 Et  c'est  comme  si  tout  ce qui  fut  soudain tout  ce qui  peut  encore   être
Venait  trouver  explication par  ce que  quelqu'un
Qu'on  n'avait pas vu  entrer   a  lever le  rideau de la fenêtre

 Et  la pierre  là-bas continue  à  profondeur  d'étoile

 Je sais  maintenant pourquoi  je  suis né  au   monde
On  racontera  mon histoire un  jour et  ses  mille péripéties
Mais tout  cela  n'est  qu'agitation trompe-l’œil guirlandes  pour  un  soir
      dans  une maison  de pauvres
Je sais  maintenant  pour  quoi je suis  né

 Et la  pierre  descend parmi  les nébuleuses
Où  est  le  haut   où  est le  bas dans ce ciel  inférieur

 Tout  ce que j'ai  dit  tout ce que j'ai  fait ce que j'ai  paru  être
Feuillage feuillage  qui  meurt et  ne laisse à l'arbre que le  geste  nu  de  ses bras
Voilà  devant  moi  la grande  vérité de l'hiver
Tout  homme a  le  destin  de l'étincelle Tout  homme  n'est
Qu'une  éphémère et  que  ne suis-je de plus  que tout homme
Mon  orgueil  est  d'avoir aimé

 Rien  d'autre 

 Et  la  pierre  s'enfonce sans fin  dans la poussière des  planètes
Je  ne suis  qu'un  peu  de vin   renversé  mais  le  vin
Témoigne  de l'ivresse au  petit  matin  blême

 Rien  d'autre

 J'étais né  pour  ces  mots que j'ai   dits

 Mon amour

 

 

Le poème  dont Leo  Ferré  a  fait une de  ses plus belles chansons :

 La chanson noire

Mon  sombre amour  d'orange  amère
Ma chanson  d'écluse  et  de  vent
Mon quartier d'ombre où vient   rêvant
Mourir  la  mer 

Mon  doux mois  d'août dont le  ciel  bleu
Des étoiles sur les  monts calmes
ma songerie aux  murs de palmes
Où l'air  est  bleu

Mes bras d'or  mes  faibles merveilles
Renaissent  ma soif  et  ma faim
Colliers colliers  des soirs sans  fin
Où le cœur   veille

Dire  que   je puis disparaître
Sans t'avoir tressé tous les joncs
Dispersé l'essaim  des pigeons
A ta fenêtre

Sans faire  flèche  du  matin
Flèche  du   trouble  et  de la fleur
De l'eau fraîche et  de la douleur
Dont  tu  m'atteins

Est-ce qu'on sait  ce qui  se  passe
C'est  peut-être  bien  ce  tantôt
Que l'on  jettera  le  manteau
Dessus  ma face

 Et  tout  ce  langage  perdu
Ce trésor  dans la  fondrière
Mon cri  recouvert de prières
Mon champ  vendu

 Je ne regrette  rien  qu'avoir
La bouche pleine  de mots  tus
Et  dressé trop  peu  de statues
A ta  mémoire

 Ah  tandis  encore  qu'il  bat
Ce  cœur  usé contre sa cage
Pour   Elle qu'un dernier  saccage
Le  mette bas

 Coupez  ma gorge et  les pivoines
Vite apportez mon vin mon sang
Pour lui  plaire comme en  passant
Font les avoines

 Il me reste   si  peu  de  temps
Pour aller  au  bout  de   moi-même
Et  pour  crier-dieu que je  t'aime
Je t'aime tant.

 

Ces vers  toute la nuit sans répit  répétés ...

Ces vers  toute la nuit sans répit  répétés
aragon elsaIls ont tourné dans ma tête comme  des mouches
Ils ont tourné comme des mouches dans ma bouche
Et  quand  a  pâli  le  ciel ils m'ont déserté

Je ne suis  qu'un  miroir  aveugle du sommeil
Il n'y avait que toi  durant mes insomnies
Que  toi  dans le  refrain  de  ces mots  mal  unis
Toi seule  encore dans mes  rêves de  réveil

Qu'est-ce qui  les liait   ces  mots qui  se  délient
Qu'est-ce qui  leur  faisait cette saveur  d'alcool
De livre qu'on  lisait  en cachette à  l'école
L'écho  s'en  perd  et  meurt comme un  parfum s'oublie

Comment  recomposer  les stances du  poème
Qui m'a  paru  si  beau  lorsque je  l'épelais
J'aurais  voulu  le  retenir et je  tremblais
Et j'en  recommençais toujours le  début  même

Ce qui  s'est envolé  là  comme  un  oiseau bleu
A laissé  dans  mon cœur une sorte d'abîme
Je ne suis  qu'une rime qui  cherche une rime
Comme une main qui  s'ouvre  en vain  pour voir  s'il  pleut

Mais une chose du moins une chose  est sûre
La musique  en naissait au  profond de mon sang
C'était un de ces airs que  reprend  le passant
Et qui  semblent sortir du cœur  de sa  blessure

Ces fantômes de chant  l'aurore  les  nettoie
Et la main du soleil  revenu  les disperse
Quand le  grand jour  m'en  a  lavé de son averse
Ce que j'en  puis savoir c'est qu'ils parlaient de toi

(achevé le jour  des  rois  1959)

Lu 11048 fois Dernière modification le dimanche, 10 mai 2015 15:11
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