Dostoievski est l'homme des sentiments démesurés. Il n'est à l'aise que dans l'exception. Il ne respire bien que dans la tempête :
« Quant à moi, je n'ai jamais fait que pousser à l'extrême, dans ma vie, ce que vous n'osiez pousser vous-mêmes qu'à moitié. » (Dostoievski par Henri Troyat)
Quel écrivain, plus profondément que Dostoievski, a sondé les passions humaines ? Et qui mieux que lui a su créer des caractères d'une telle complexité ?
Mieux encore, ces caractères ne sont pas figés ; ils évoluent, modelés par les évènements, tordus par le malheur, redressés jusqu'à la rédemption par l'expérience de leur crime ou la tragique prise de conscience de leurs actes.
Faut-il voir en Dostoievski un écrivain du plus noir pessimisme sur la nature humaine ou bien comme un écrivain convaincu que l'âme humaine, dans la pire de ses déchéances, recèle encore les ressources positives susceptibles de lui rendre sa dignité ?
Je crois que c'est sa propre vie qui peut nous proposer une réponse.
J'ai cherché dans deux œuvres quelques clés : D'abord dans sa biographie par 'Henri Troyat, ensuite dans l'essai de Nicolas Milochevitch : Dostoievski penseur et je crois pouvoir défendre l'idée que l'œuvre d'un écrivain peut se décrypter dans le déroulement de sa propre existence.
Personne ne niera je pense qu'une condamnation à mort, commuée à la dernière minute précédant l'exécution, en déportation au bagne, a forcément des effets déterminants sur la vie d'un homme , ni que 4 années passées dans l'enfer de Sibérie marquent un individu de façon indélébile.
Mais il n'est pas suffisant de s'attacher à ces évènements extrêmes, il faut creuser plus profondément dans la vie de l'auteur, pour comprendre quel sens à donner aux confessions de Raskolnikov, ou au respect que nous inspirele Prince Mychkine ; le diable habite-t-il davantage Stavroguine que Verkhovensky ? faut-il tourner en dérision l'idéalisme de Stepane Trophimovitch ? Quelle résonnance accorder au discours du starets Zozime? Et laquelle des voix d'Ivan Karamazov a des accents plus sincères , celle du machiavélique instigateur du parricide ou celle du repenti, rendu fou par ses contradictions ?
Notre lecture est plus riche il me semble lorsque modestement on peut en saisir quelques sources.
Les dilemmes existentiels, politiques , religieux, affrontés et sans doute jamais totalement résolus de Dostoievski expliquent à mon sens ces caractères aux multiples facettes dont les âmes oscillent entre le bien et le mal, entre mysticisme et athéisme , entre humilité et arrogance, entre Tsar et socialisme révolutionnaire, entre peuple et élite intellectuelle, entre une Russie ignorante et sa Slavophilie messianique ?
Ce qui nous paraît évidentes contradictions, n'est-ce pas les états d'âmes d'un esprit au paroxysme des tourments métaphysiques ou philosophiques? Un esprit révolté par l'injustice sociale mais persuadé de la vanité d'une quête d'un bonheur matériel au détriment du spirituel ?
Son intelligence exceptionnelle lui permettait d'embrasser d'un même coup d'œil le monde sous des angles trop vastes pour être contenus dans les théories trop étroites de la politique ; les idéologies déicides ne le satisfaisaient pas, pas plus que son Dieu permettant le viol d'une enfant.
Visionnaire, ses héros sont à sa mesure, capables du meilleur comme du pire, instruments d'un mal qui peut générer le bien, mais aussi d'un bien qui peut produire les pires catastrophes.
Ses principaux romans
- Les frères Karamazov
- Les possédés
- L'Idiot
- Crimes et châtiment
- Et aussi Le joueur, l'éternel mari, Les nuits blanches , Les carnets du sous-sol , Les pauvres gens , Humiliés et offensés, Souvenirs de la maison des morts , l'adolescent ....
Autour de Dostoievski:
- Fédor Mikhaïlovitch Dostoievski - Biographie d'Henri Troyat
- Dostoievski penseur : De Nicolas Milochevitch
- La poétique de Dostoievski par Mikhaïl Bakhtine
- Adaptation théâtrale des Possédés par Albert Camus
- Adaptations cinématographiques:
Notre fascination pour ses personnages, la précision de la mise en scène de l'oeuvre et la rigueur du descriptif psychologique a produit un grand nombre d'adaptations cinématographiques . Si elles perdent souvent en profondeur je pense qu'il est difficile de parler généralement d'infidélités au texte. Pour ma part j'ai vu avec plaisir :
Les Démons ou les Possédés par Andrrzej Wajda (1988)
Les Nuits Blanches par Luchnino Visconti ,
le joueur avec Gérard Philippe, Crime et châtiment avec Laurent Terzieff, et une adaptation pour la télévision, Les frères Karamazov , L'idiot , l'éternel mari ...