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samedi, 22 avril 2023 18:03

Errance schubertienne

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Avec Schubert , Lévitan et  Tchékhov

J’avais depuis  longtemps « entrelacé »  Isaac  Lévitan , peintre  du réalisme-romantique russe  et  le  Notturno  de   Schubert , opus 148 D897, pour fondre  le thème de l’errance si  familier  au  compositeur  romantique autrichien et  les  paysages du peintre. 

Ma  lecture  du   Voyage  à   Sakhaline  de   Tchekhov est venue enrichir cette  émotion artistique de l’extraordinaire aventure  vécue  par l’écrivain russe .
Un  entrelacs ne devrait  pas souffrir d’explication pourtant je trouve qu’il le supporte ici pleinement sans  rien lui  retirer  de son enchantement.

Les  paysages  de  la  steppe   russe  si souvent  peints  par  Lévitan à toutes les  heures du  jour et en toutes saisons accueillent d’évidence le « wanderer  schubertien »  , avec leurs routes  interminables et des lointains  toujours fuyant ; avec leurs fleuves nonchalants que  ne franchissent aucun  pont et dont la  largeur en s’étalant  sont   des  obstacles au voyageur aussi infranchissables que les  montagnes qui  leur succéderont .
Répondant  à  une   puissante  injonction qui  a décidé de son  départ, il se retrouve  solitaire  au  milieu  de  ces immensités et puise dans sa détermination la  volonté de surmonter doutes  et hésitations quelui inspire sa faiblesse devant cette nature qui  le  dépasse, comme autant des rythmes  émotionnels qui composent  l’œuvre  musicale.

De santé  précaire  et   sans  que  soit  connu  le  motif réel qui  le poussa  à  entreprendre  un  tel   voyage  de  plus  de  10 000 kms  le 21 avril 1890, Tchekhov se  lança dans cette  périlleuse  aventure et son ami intime  Isaac  Lévitan  accompagna un  moment son départ  jusqu’à ce point d’où  s’élançaient alors  les  convois  de  prisonniers  vers les confins de  la  Sibérie sur l’Ile de  Sakhaline.

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Isaac  Lévitan  :  la  Vladimirka (Point de départ de  la  route  vers  Sakhaline)

On  connait  les  péripéties  de  son  voyage, ses souffrances   et ses  émerveillements  par  la  régulière  correspondance qu’il  adressa  à  sa  famille et  à ses amis. Sa  narration  est   sans lyrisme, ponctuée de son  humour   habituel, sans grandiloquence  comme s’il sous-estimait  sa  performance et la musique  s’accorde  bien à  cette modestie.  

Dès qu’il  se  sentit  mieux il  reprit  le  train pour   Tioumen , qu’il  atteignit  le   3 mai. Ce  fut  là  qu’il  découvrit  la  plaine   sibérienne. Le chemin  de  fer  n’allait  pas  plus  loin. Il  dut  poursuivre  sa route vers  Tomsk dans  une  voiture  de  louage, un  « panier- guimbarde attelé de  deux chevaux » et conduit  par  un  vieux cocher. Enfermé dans  cette cage, il  était  disait-il  comme un  chardonneret regardant  l’univers entre les  barreaux et  ne  pensant  à  rien…. « Et  voilà  , on roule , on roule écrivait-il  encore  à sa sœur ; les  bornes des  verstes,  les  mares, les  petits bois de  bouleaux défilent. Nous avons croisé des vagabonds avec  des  marmites sur  le dos. Ces  messieurs se  promènent   sans encombre  sur  la grande  route sibérienne. Tantôt  ils égorgent  une  misérable  vieille  pour  lui prendre sa  jupe et s’en  faire des chaussettes, tantôt  ils  arrachent l’écriteau  en  fer  d’une borne de  verste –cela  peut servir – tantôt  ils fracassent  le crâne  d’un  mendiant rencontré  en  chemin ».  ….Epuisé  par  les  cahots, assourdi par le tintement  monotone  des clochettes, il se  demandait  s’il  aurait  la force  de  tenir   jusqu’au bout. Le supplice  devait en principe  durer  douze  jours. Au bout de  trois  jours, il avait  tellement  mal  au dos, que quand  il  descendait de  voiture, il ne  pouvait  ni se  redresser ni se  coucher.
Pourtant  à  la  longue, son  corps  s’habitua  à cette brutale discipline…..

« Je suis amoureux du  fleuve  Amour, écrivait  Tchékhov  à  Souvorine. Je vivrais  bien  deux ans  sur  ses rives. C’est beau, vaste,  libre  et  chaud. la Suisse  et  la  France  n’ont  jamais  connu  une  telle sensation  de   liberté. Le dernier  des  déportés respire  sur  l’Amour plus  librement  qu’un  général  en  Russie. »  

Ainsi en écoutant  Schubert  j’ entends au-delà  de  la  pudeur sur l’effort  physique,  toute  l’âpreté du voyage   intérieur de  Tchekhov et  la  force morale qui  le soutenait pour  atteindre et témoigner de   l’enfer du  bagne.

Sur cette page on peut  lire  son itineraire  et plus  de  détails sur  sur  son  aventure

Lu 731 fois Dernière modification le mardi, 30 mai 2023 19:18

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