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mardi, 22 janvier 2013 20:47

Le Petit Prince

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Le Petit Prince, version poétique de Terre des hommes

ou Terre des hommes genèse du Petit Prince ?

Quand on relit encore une fois le Petit Prince et que cette relecture précède ou suit celle de Terre des hommes on ne peut que s'étonner des échos qu'on perçoit dans les deux oeuvres.

Certes il est un peu réducteur de dire que Le Petit Prince est la version poétique de Terre des Hommes parce que si la poésie est le support essentiel de la pensée de Saint Exupéry dans le Petit Prince et si l'émotion poétique y suggère à elle seule les idées fortes, épurées, sans besoin d'analyse ou de développement, cette même poésie imprègne aussi toutes les pages de Terre des hommes.

Comparer les deux oeuvres revient à comparer une image à un texte.

Mais je ne peux m'empêcher de les associer étroitement comme on pourrait associer une suite de leitmotive à une symphonie.

La plupart des grands thèmes du Petit Prince préexistent dans Terre des hommes et les images célèbres du premier jaillissent du second comme des ébauches figuratives.

Quelques exemples pour illustrer cette idée mais je suis certaine qu'une lecture plus attentive en révèlerait d'autres.

Je pense d'abord au cadre du Conte, au désert où se produit l'improbable rencontre; le désert source de plénitude quand la peur est dépassée, lieu privilégié où l'homme se retrouve face à lui-même. Le désert si riche en expériences individuelles; le désert où l'inespéré se produit, comme l'apparition soudaine d'un Berbère au seuil de la mort, ou la confiance qui rend probable le secours imprévisible, vous préserve du désespoir.

Désert familier à Saint Exupéry mais particulièrement propice à l'apparition d'un Petit Prince qui n'explique pas sa présence.

Tout un chapitre de Terre des hommes est consacré au désert, où naissent les mirages, les illusions et les songes , où les souvenirs agissent dans la solitude comme autant de liens invisibles qui vous rattachent au monde des hommes. Ainsi, comme Guillaumet s'inventant des histoires pour ne pas renoncer, surgit le Petit Prince, apparition provoquée ou onirique pour accompagner un naufragé du désert, synthétisant dans le dialogue qui s'instaure la vision idéalisée du monde., tel les méditations d'un meneur d'hommes ( par là lié aux hommes), qui construit les réponses aux questionnements existentiels et moraux, ces principes qui donnent, selon Saint Exupéry dans Terre des hommes, un sens à la vie et qui figurent à la manière d'une parabole dans le Conte.

C'est dans ce désert de Terre des hommes que s'est révélé à Saint Exupéry , le puits qui se dissimule dans les dunes . En savoir l'existence suffit à garder l'espoir et justifie tous les efforts pour l'atteindre comme la longue marche du Petit prince et de l'aviateur.

"Mais voici qu'aujourd'hui nous avons éprouvé la soif. Et ce puits que nous connaissions, nous découvrons aujourd'hui seulement qu'il rayonne sur l'étendue. Un femme invisible peut enchanter ainsi toute une maison. Un puits porte loin, comme l'amour.

Nous avons accepté la règle du jeu, le jeu nous forme à son image. Le Sahara c'est en nous qu'il se montre. L'aborder ce n'est point pour visiter l'Oasis, c'est faire notre religion d'une fontaine."

S'il symbolise ce qui ne se voit pas, ce qu'on ne peut voir avec les yeux, c'est aussi l'acte de foi d'un homme envers ses semblables. Quelque part un homme a construit un puits et en concentrant ses efforts sur ce puits qui n'est autre qu'une main tendue, l'assoiffé pourra se désaltérer.

Apologie de l'effort, mais aussi de la solidarité entre les hommes, la poulie chante la fraternité, soutien des naufragés du désert.

Puits, fontaine, image récurrente de l'eau source de vie dans les deux oeuvres . Quelle image plus forte de symbole pour celui qui a été confronté au désert?

"Eau tu n'as ni goût ni couleur, ni arôme, on ne peut pas te définir, on te goûte sans te connaître. Tu n'es pas nécessaire à la vie : tu es la vie..."

Mais avant d'être la source naturelle que les Maures vénèreront dans la brève excursion dans les Alpes , Saint Exupéry s'attache à l'élément sublimé par la main de l'homme : l'eau qu'on tire d'un puits, ou bien qui coule d'une fontaine. A cet élément primordial Saint Exupéry ajoute la dimension humaine omniprésente dans le Conte.

Amour qui irradie le ciel, fait chanter les étoiles comme la Rose lointaine ou les grelots d'un rire d'enfant ; n'ont-ils pas été conçus comme cette femme dont la présence invisible peut enchanter toute une maison ou ces lumières qui réconfortent l'aviateur parce qu'il sait que l'une d'elles éclaire son foyer.

" Parmi tant d'étoiles, il n'en était qu'une qui composât, pour se mettre à notre portée, ce bol odorant du repas de l'aube.... toutes ces richesses du monde logeaient dans un grain de poussière égaré parmi les constellations... Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile, c'est doux de regarder le ciel. Toutes les étoiles sont fleuries."

Essentiels du Petit Prince négligés par les grandes personnes ou les hommes fourvoyés qui s'entassent dans des trains de banlieue pour des destinations futiles, ce sont ces hommes qui ne savent plus vivre ou qui ne sont pas encore nés et ne demandent qu'à naître :

" Vieux bureaucrate, mon camarade..."

Et le discours insistant du Renard sur la responsabilité ne trouve-t-il pas sa source dans l'hymne à cette valeur si souvent évoquée dans Terre des Hommes.

"Sa grandeur (Guillaumet) c'est de se sentir responsable. Responsable de lui, du courrier, des camarades qui espèrent. Il tient dans ses mains leurs peines ou leurs joies. responsable de ce qui se bâtit de neuf là-bas chez les vivants à quoi il doit participer. Responsable un peu du destin des homme, dans la mesure de son travail.

Il fait partie des êtres larges qui acceptent de couvrir de larges horizons de leur feuillage. Etre homme c'est précisément être responsable. C'est connaître la honte en face d'une misère qui ne semblait pas dépendre de soi. C'est être fier d'une victoire que les camarades ont remportée, c'est sentir en posant sa pierre que l'on contribue à bâtir le monde."

.Et encore quand  Saint Exupéry relie  l'apprivoisement  à  l'engagement  vis à  vis de  l'autre par  la sentence  du  renard :

"Tu deviens responsable  pour toujours  de  ce  que tu  as apprivoisé ."

Les deux oeuvres ne sont pas des versions différentes, mais tour à tour poète-penseur ou penseur/poète, un même homme a traduit sa vision du monde et les aspirations qu'il concevait pour lui, dans deux écrins qui se reflètent, où rivalisent dans l'un comme dans l'autre pour nous atteindre, sensibilité et profondeur..Jusqu'à l'attitude du pilote naufragé à l'égard de l'enfant tombé du ciel, intimidation, respect, souci du jugement porté sur l'adulte, sentiment d'infériorité morale, humilité, Saint Exupéry a déjà vécu cette situation lors de sa rencontre avec les "fées" d'Oasis.

Le petit prince mj

(11/11/2004)

Lu 5759 fois Dernière modification le dimanche, 27 septembre 2020 17:14

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